Une contribution pertinente sur la dimension tactile de l’œuvre de l’artiste hollandais à l’occasion d’une exposition à Dunkerque.

L’exposition que présente le Lieu d’Art et d’Action Contemporaine de Dunkerque jusqu’au 21 septembre prochain est consacrée à César Domela. Relativement rare en France, César Domela (1900-1992) fut, en son temps, le plus jeune adhérent du mouvement d’avant garde "De Stijl" , mené notamment par Mondrian et Van Doesburg. Artiste abstrait, il est aussi typographe, publiciste, graphiste, et utilise dès les années 30 des formes en laiton qui, posées sur la toile, tantôt soulignent une forme, tantôt la figurent. C’est en France qu’il établira son domicile dès 1933 et où il approfondira ses recherches gravissant, peu à peu, les étapes de la reconnaissance internationale participant à d’importantes exposition d’art abstrait (Kusthalle de Bâle, MoMa et Guggenheim à New-York etc.). Ce n’est qu’en 1987 que la France, ou plus exactement la ville de Paris, au sein de son musée d’art moderne, reconnaîtra son talent lui offrant une exposition rétrospective qui sera ensuite montrée au Stedelijk Museum d’Amsterdam. L’importante donation effectuée par ses filles au LAAC de Dunkerque est l’occasion de cette exposition et de ce catalogue. Si la troisième dimension est sans doute l’une des signatures de Domela, on y perçoit, au travers de la soixantaine d’œuvres reproduites (dont d’intéressants dessins préparatoires) la richesse des matériaux employés (le métal d’abord puis des bois précieux) qui font de ces œuvres des objets dont la puissance plastique annihile tout risque décoratif.

Frédéric Champey, commissaire associé et maître de conférence à l’université de Lille III fournit en guise d’introduction un texte synthétique sur le relief dans l’art moderne. Il est en effet pertinent de découvrir comment "  la succession trépidante des mouvements stylistiques modernes a-t-elle pu offrir"au relief une continuité d’expérimentation qui en fait, sans doute, une des conquêtes de la modernité picturale et un des éléments essentiels de l’abstraction. Situant les premiers pas de cette expérimentation aux "Nus de dos"  de Matisse commencés en 1909, il brosse, convoquant bien évidemment Picasso, Lipchitz, Archipenko puis Herbin et Arp, une cartographie précise (et, c’est étonnant, quasi exclusivement française) de cette problématique. Ce cheminement qui évite soigneusement Domela laisse au second texte, du moins le lecteur est en droit de l’attendre, le soin d’évoquer notre artiste.

Rien, hélas, ne précise et ne répond à cette exigeante contribution. Soucieux de soigner les généreux donateurs –sans lesquels l’exposition n’aurait pu avoir lieu- c’est d’un entretien avec ces derniers (filles de l’artiste) que le lecteur est gratifié. Celles-ci (dont la biographie de leur géniteur, publiée en fin d’ouvrage, nous informe de leur naissance en 1931 et 1937) n’hésitent pas à "témoigner"  sur l’état d’esprit de leur père, lorsqu’il exécuta ses premiers reliefs… en 1928 !

Si la rigueur scientifique caractérisait le premier essai, c’est aux amateurs de romans que s’adresse manifestement le second. En effet, il est permis de douter que les réponses des deux filles de César Domela (qui, à en juger par le catalogue, ont une seule et même réponse pour elles deux) soient à considérer sans pincettes. Cependant, le lecteur appréciera les nombreuses citations d’interviews de Domela (qui auraient sans doute mérité une publication in extenso) auxquelles font appel ses deux filles pour appuyer leurs réponses.

Après avoir évoqué la place de la spiritualité dans l’œuvre de leur père, affirmant que Domela considérait "son œuvre comme une prière" , l’amateur ne boudera pas le plaisir de se plonger dans le catalogue des œuvres qui, bien plus qu’un missel, montre comment Domela parvenait à allier fantaisie des matières et rigueur formelle. Rigueur qui, à l’étude du catalogue, semble reculer à la fin des années 1950, pour laisser la place à des compositions plus libres flirtant avec le décoratif.

Néanmoins, il n’est pas permis de douter de l’intérêt de cet ouvrage pour mieux connaître et comprendre l’œuvre de César Domela, dont le travail ne saurait, certes, se résumer à celle d’un "sculpteur sur toile"  mais dont l’œuvre demeurerait sans doute incompréhensible sans cette dimension tactile