Patrick Poivre d'Arvor nous emmène sur les traces d'écrivains qui l'ont fait voyager. Un livre pour s'évader.

Mes voyages avec les écrivains : c’est ce sous-titre qu’il faut retenir lorsqu’on aborde le dernier ouvrage de Patrick Poivre d’Arvor. En effet, comme il le rappelle dans la préface, les sillons qu’il nous invite à emprunter sont ceux creusés par les écrivains avec qui il a navigué, parcouru les déserts, chassé le lion ou tout simplement rêvé lorsqu’il était "petit garçon". C’est donc un parcours très personnel que le journaliste nous propose dans ces Horizons lointains où l’on ne rencontre pas uniquement des écrivains voyageurs comme l’on pourrait s’y attendre, mais également des écrivains du voyage et des écrivains qui font voyager. Effectivement, c’est parce que "la littérature s’est nourrie de voyages ; voyages dans le passé, dans le futur, autour de sa chambre, de ses rêves, de ses chimères" que PPDA va nous faire rencontrer des personnalités aussi diverses que des diplomates, des reporters, des marins, des aventuriers, des poètes, dont le point commun est d’avoir voulu partager leurs voyages, quels qu’ils soient, par l’écriture.


"La découverte du monde"

Cette galerie de portrait s’ouvre sur Chateaubriand qui, en 1789, année où "il ne fait pas bon porter une particule", décide de partir pour le Nouveau Monde. Fasciné par la géographie, et surtout par la gloire, il a pour projet de découvrir le passage du Nord Ouest. PPDA nous fait partager ce périple sur le continent américain, retraçant les pérégrinations du diplomate à travers des paysages à couper le souffle,s’attardant notamment sur l’épisode des chutes du Niagara, relaté dans ses Mémoires, dont on retiendra la formidable nouveauté à une époque où le tourisme est encore une activité réservée à l’élite qui se contente de s’extasier sur la beauté des Alpes.

La beauté des Alpes, c’est justement ce qui retient l’attention du deuxième portrait dressé par Poivre d’Arvor. Il s’agit de Stendhal qui, en 1800, suit son cousin (un proche de Bonaparte) en Italie où il exerce des activités d’intendance pour y justifier sa présence. Mais l’armée le lasse et il rentre en France. Pourtant il gardera un souvenir heureux de ce séjour, à tel point qu’il retourne en Italie en 1811 et y tombe amoureux d’une femme. PPDA insiste plus sur cette histoire que sur ce que Beyle a vu en Italie. Le lecteur souhaitant en savoir plus à ce propos devra pour cela se plonger dans Rome, Naples, Florence, paru en 1817, dans lequel il décrit le charme de ce pays.

Parmi les écrivains du XIXe siècle partis à "la découverte du monde", on compte également Flaubert. Le choix semble inattendu et pourtant le portrait dressé par le journaliste révèle un véritable voyageur qui, accompagné de son ami intime Marcel Du Camp – motivé par la volonté de réaliser un reportage photographique –, va passer quatre mois sur le Nil. Le lecteur les suit à travers de multiples anecdotes inhérentes à la vie de voyage telles que l’hostilité des populations locales, la difficulté de transporter 600 kg de bagages… Si durant ce voyage, l’auteur de Madame Bovary ne pense pas à écrire, considérant le récit de voyage comme un genre mineur, il s’en inspirera en 1862 pour l’écriture de Salammbô.


"Les grands ailleurs"

Si ces auteurs ont voyagé, ce n’était jamais pour longtemps et rarement très loin, à l’inverse de Conrad et Stevenson, qui viennent s’ajouter à la galerie proposée par PPDA, et ont tous deux eu l’occasion de parcourir le monde, et notamment ses mers. Le premier, ébahi par la mer, et malgré les difficultés inhérentes au métier de marin, navigue durant vingt ans, d’abord sous pavillon français, s’imprégnant de l’Extrême Orient, s’insurgeant contre le colonialisme avant de se fixer à Londres pour entamer une seconde carrière : celle de romancier. S’agissant de Stevenson, le parcours est similaire : il parcourt longtemps les mers du Sud avant de s’attacher dans l’archipel des Samoa. En quelques mois, il y devient chef de clan, se confond avec les indigènes au point de s’insurger lui aussi contre la mère patrie colonisatrice.

"Les grands ailleurs" semblent destinés aux aventuriers, car les portraits suivants sont ceux de Jack London et Blaise Cendrars. Le premier est un aventurier du Grand Nord. En 1896, lorsqu’un trappeur y découvre de l’or, Jack London décide de s’y rendre, comme beaucoup à l’époque. PPDA retrace alors ce périple, ou plutôt ce calvaire, vers Dawson City, en le ponctuant de nombreuses anecdotes. L’horreur est au rendez-vous, le froid est si intense qu’il doit s’isoler avant même d’arriver. Il doit rentrer à San Fransisco, sans la fortune espérée. La véritable fortune qu’il rapporte de ce périple, c’est son désir d’écrire et la matière suffisante à la composition de plusieurs ouvrages dédiés au Nord. Quant à Blaise Cendrars, élève oisif préférant sécher les cours, suscitant la colère de son père, c’est dans la fugue qu’il trouve sa vocation, parcourant l’Allemagne et la Russie, empruntant le Transsibérien, vivant de divers commerces. Il commence à écrire à Saint Pétersbourg, d’abord un journal, puis de la prose poétique. Mais c’est en 1924 qu’il rencontre le succès avec L’or devenant ainsi "le poète de l’aventure au bout du monde".

La bonne surprise de cette rubrique vient avec le portrait de Rimbaud car si on le surnomme souvent "l’homme aux semelles de vent", Rimbaud n’aura jamais beaucoup voyagé durant sa courte activité de poète. Aussi PPDA choisit-il de nous le montrer dans sa nouvelle vie, arrivant à Chypre en 1800, fuyant sur la mer Rouge, rêvant de faire fortune à Djeddah, affrontant la chaleur de l’Afrique, s’établissant enfin à Aden où il exercera diverses activités commerciales, source de nombreuses péripéties…


"Le voyage imaginaire"

PPDA ouvre cette rubrique par un autre poète du XIXe siècle : Baudelaire. Si le poète s’est inspiré de la vie de voyage pour l’écriture de quelques poèmes, PPDA ne retient pas cette facette, préférant mettre l’accent sur "ceux qui nous on fait voyager bien davantage qu’ils ont eux-mêmes voyagé". Le portrait de Baudelaire est donc celui d’un poète vagabondant dans le Paris des années 1850/1860 et en prise avec la drogue. On notera l’excellent choix de l’iconographie accompagnant ce portrait, composée de dessins de Baudelaire lui-même et du frontispice pour les Épaves de F. Rops.

Lewis Caroll et Jules Verne viennent compléter cette galerie consacrée aux artisans du voyage. Ces deux là ont pour point commun de n’être jamais sorti de leur bureau tout en ayant su faire voyager des milliers d’enfants. Aussi apprend-on avec plaisir la genèse et l’histoire d’Alice ; de même, l’on s’étonne d’apprendre la rigueur de Jules Verne quant à son souci de rendre ses histoires plausibles : l’homme se documente, interroge la "faisabilité technique" à chaque nouvelle invention, donnant ainsi vie à "des rêves millénaires".


"La vie vagabonde"

Sous ce sous-titre, le journaliste regroupe trois auteurs au profil radicalement différent mais dont les écrits sont capables de nous transporter vers les destinations les plus lointaines. On retrouve alors avec plaisir Nicolas Bouvier dont PPDA retrace le périple accompli avec le peintre Thierry Vernet entre Genève et le Khyber Pass entre 1953 et 1954. On le suit également à travers l’Inde et l’Asie tout en appréciant l’iconographie sélectionnée.

Il s’agit ensuite d’Henry de Monfreid, parti pour l’Afrique en 1920 après avoir tout perdu. Il exerce une activité de commerçant avant de rejoindre l’Abyssinie où il se mue en véritable arabe, se convertissant à l’islam, apprenant la langue… De commerçant, il devient rapidement contrebandier, trafiquant des armes, des bijoux, de la drogue : c’est ce qui fera sa légende. On notera avec intérêt que c’est sur l’impulsion de Joseph Kessel que Monfreid prendra la plume, donnant naissance à soixante-dix ouvrages dont il aime dire que ce n’est rien d’autre "que le récit de [sa] vie".

Poivre d’Arvor clôt cette rubrique par un portrait de Romain Gary, surtout ému par la vie de sa mère, émigrée polonaise et amoureuse de la France.


"Témoigner de son temps"


Avant d’aborder les écrivains voyageurs témoins de leur temps, PPDA fait un détour par Marguerite Duras, retraçant essentiellement son enfance asiatique, car selon lui, ce "n’est pas un écrivain qui a voyagé, c’est un auteur dont la langue comme l’imaginaire se sont figés dans le pays de l’enfance".

Le journaliste peut alors évoquer la vie de personnalité telles que Malraux dont il évoque surtout l’action militaire exercée en Espagne entre 1936 et 1937, au détriment de sa vie asiatique narrée dans Le miroir des limbes.

Le lecteur s’engage ensuite sur les flots houleux de la vie de reporter, suivant respectivement la barque d’Hemingway, Kessel et Albert Londres. On suit d’abord le premier en Italie en 1918 puis en Floride et en Espagne où il est correspondant de guerre. PPDA souligne aussi son rôle historique, puisqu’il a participé à la libération de Paris.

La vie du second est ponctuée d’anecdotes étonnantes : par exemple, chargé de couvrir la naissance de l’État d’Israël pour France Soir, il en obtient le visa n°1.

Le parcours du troisième est le plus poignant. Reporter en Guyane en 1923, désirant réaliser un reportage sur les conditions des bagnards, il y découvre de véritables atrocités dont il s’insurge dans un article accompagné d’une lettre ouverte au ministre des Colonies. Son action aura pour heureuse conséquence la révision de deux bagnards accusés à tort et plus largement la suppression du bagne en 1937.
L’ouvrage s’achève plus légèrement sur les portraits de Saint Exupéry et Jack Kerouac, tous deux écrivains voyageurs à leur manière. Le premier, on ne le présente plus. L’affection de PPDA pour Saint Exupéry est connu. Il évoque ici les moments passés par celui-ci à Cap-Juby, origine des deux carrières de l’homme : celle de pilote et celle d’écrivain. On ne présente pas plus le second dont l’ouvrage Sur la route est devenu culte pour plusieurs génération ; c’est justement le voyage entre New York et San Fransisco que nous fait partager PPDA, qui tient aussi à souligner la formidable nouveauté de style apporté par celui dont on a fait la figure de proue de la Beat Generation.


On se laisse donc facilement dériver dans ces Horizons Lointains dont la présentation permet une navigation aléatoire. Les différentes anecdotes rapportées par son auteur augmentent avec plaisir la connaissance que l’on pouvait avoir de ces écrivains que l’on a envie de découvrir ou redécouvrir après avoir aperçu une partie de leur vie, leur œuvre.