Dimanche 10 août 2008, le président bolivien Evo Morales (notre photo) a organisé un référendum révocatoire dans l’espoir de sortir de la crise institutionnelle qui ronge le pays depuis plus d’un an et qui s’est sérieusement aggravée au cours de ces derniers mois.
En effet, quatre régions de l’est bolivien, Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando, ont tour à tour voté leur autonomie par référendum entre le 4 mai et le 22 juin derniers. Si le taux d’abstention a été assez élevé dans chaque région, le "oui" à l’autonomie a remporté entre 79,5 et 85,6% des suffrages. Le président bolivien ne reconnaît évidemment pas la légalité de ces référendums organisés par des gouverneurs opposés à sa politique indigéniste (sept des neufs régions que compte la Bolivie sont actuellement dirigées par des membres de l’opposition). Or, ces quatre régions, qui forment ce que l’on appelle la "demi-lune" bolivienne, sont les plus riches du pays. Elles représentent à elles seules 80% du PIB national et concentrent la quasi-totalité des ressources en hydrocarbures. En se proclamant autonomes, ces régions se sont octroyé un contrôle absolu sur les ressources naturelles dont elles disposent. Elles marquent ainsi leur désir de rompre avec la politique de redistribution du MAS (Movimiento Al Socialismo), le parti indigéniste (rappelons que 70 à 75% de la population bolivienne est indigène ou métisse) et socialiste d’Evo Morales, appuyé par les régions pauvres du haut-plateau qui entourent La Paz.
Le dimanche 10 août 2008, les boliviens se sont donc rendus dans l’un des vingt-deux mille centres de vote installés dans le pays pour répondre aux questions : “¿Usted está de acuerdo con la continuidad del proceso de cambio liderizado por el presidente Evo Morales Ayma y el vicepresidente Alvaro García Linera?” ("Êtes-vous d’accord pour que continue le processus de changement mené par le président Evo Morales et le vice-président Alvaro García Linera ?") et “¿Usted está de acuerdo con la continuidad de las políticas, las acciones y la gestión del Prefecto del Departamento?” ("Êtes-vous d’accord pour que continuent les politiques, les actions et la gestion du Préfet du Département?")
Selon les premières estimations, Evo Morales serait confirmé dans ses fonctions, puisqu’il aurait obtenu environ 60% des voix. Nous ne connaîtrons les résultats officiels que dans une semaine environ. Malgré son taux de popularité relativement élevé, tout n’était pas gagné pour le président, contrairement à ce qu’il a largement laissé entendre depuis qu’il a annoncé, en mai dernier, son projet d’organiser un référendum révocatoire.
En effet, malgré la forte propagande orchestrée par le gouvernement, l’image du président bolivien s’est détériorée du fait des graves conflits sociaux qui viennent démentir, depuis novembre 2007, l’idée qu’Evo Morales, premier président indigène depuis le XIXè siècle, a le soutien de l’ensemble du petit peuple : les mineurs qui ont largement participé à son élection en janvier 2006 sont aujourd’hui dans la rue. Ils réclament le droit à la retraite dès 55 ans (contre 65 à l’heure actuelle) et de meilleures conditions de travail. Moins d’une semaine avant le référendum du 10 août, deux mineurs ont perdu la vie dans des affrontements violents avec la police. Lors de sa campagne électorale, Evo Morales avait promis de renoncer à la présidence s’il y avait des morts du fait de son action politique . Or, depuis son élection, 44 boliviens, manifestants ou policiers, ont trouvé la mort lors de conflits sociaux, et plusieurs centaines d’autres ont été blessés.
Les professeurs de l’éducation publique sont également dans la rue , ils ont commencé le 8 août dernier une grève générale et continuent leurs opérations de blocage de la circulation (technique qu’avait utilisé Morales, lui-même, pour renverser deux présidents, alors qu’il était membre de l’opposition). Par ailleurs, les images des policiers chargeant des invalides, qui manifestaient pour réclamer l’aide financière annuelle, que le président leur avait promis en 2005 et qu’ils n’ont jamais reçu, n’ont pas aidé à entretenir la popularité d’Evo Morales parmi les plus démunis.
Evo Morales, très contesté ces derniers temps, sort donc renforcé de ce référendum. Cependant, la crise institutionnelle est loin d’être résolue. En effet, si deux gouverneurs de l’opposition seront certainement révoqués, en revanche les quatre gouverneurs des régions qui ont pris leur indépendance ont été confirmés dans leurs fonctions. Ils étaient pourtant partis avec un handicap certain : la loi en vigueur en Bolivie prévoie que pour qu’un élu soit révoqué, il faut qu’il totalise moins de voix qu’il n’en a obtenues lors de son élection. Or les gouverneurs ont été élus le 18 décembre 2005 avec 37% des voix pour le moins populaire, et 48% pour le plus populaire, ils auraient donc pu être révoqués, même dans le cas où plus de 50% des votes auraient été en leur faveur. En revanche, Evo Morales et Álvaro García Linera, son vice-président, ont eux été élus avec 53,74% des voix, ce qui rendait plus difficile leur révocation, puisqu’il aurait fallu qu’environ 53,75% de la population vote à leur encontre. L’un des gouverneurs révoqués a déjà annoncé qu’il ne renoncera pas au pouvoir. Malgré l’étrange calme dans lequel s’est déroulé le référendum, les tensions risquent de s’accroître en Bolivie dans les jours à venir.
Evo Morales a annoncé qu’il souhaite négocier avec l’opposition dont il ne peut plus nier la puissance. Il aurait entre autre évoqué la possibilité de faire entrer les nouveaux statuts des régions autonomes dans la constitution votée par son gouvernement le 9 décembre 2007, en l’absence des membres de l’opposition, espérant ainsi qu’elle pourrait (enfin !) être ratifiée.
Le bilan à l’issue du référendum est inquiétant : la Bolivie est bel et bien déchirée en deux. Géographie, économie et politique opposent l’est à l’ouest, et le référendum du dimanche 10 août semble avoir creusé encore un peu plus le fossé qui les sépare. Le dialogue pourra-t-il combler la brèche ? Les prochaines semaines s’annoncent décisives pour l’avenir du pays
Bolivie : la crise institutionnelle d’un pays bipolarisé
- Publication • 13 août 2008
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