Quand la contrefaçon dépasse en volume le marché régulier, il y a de quoi se poser des questions. C’est pourtant ce constat édifiant que doit affronter le monde du cinéma : selon une étude sortie par l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), le nombre de films téléchargés chaque jour illégalement en France (450 000) équivaut presque à celui des ventes de tickets d’entrée au cinéma   . Si le chiffre fait peur aux acteurs de l’industrie cinématographique, ceux-ci doivent carrément s’arracher les cheveux en constatant que plus de 60 % de la demande n’est pas satisfaite. En d’autres termes, le piratage serait d’une toute autre ampleur si les serveurs n’étaient pas constamment saturés.

Au dire de Frédéric Delacroix, les résultats de l’étude sont tout autant surprenants qu’inquiétants. Le directeur général de l’ALPA parle d’"un phénomène majeur qui peut mettre en péril l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel." Une vision apocalyptique à nuancer selon Libération : le nombre d’entrées en salle et les ventes de DVD sont paradoxalement en hausse par rapport à l’année dernière. Le lien entre ces résultats et le téléchargement illégal n’est donc pas si évident, comme le soulignent différentes enquêtes, qui soutiennent que "les industries du divertissement se trompent si elles estiment que la baisse du piratage génèrera une augmentation de la vente d’albums ou du nombre d’entrées dans les salles". De là à dire que le piratage n’a pas handicapé Bienvenue chez les Ch’tis dans la course (vaine) au record absolu d’entrées, toujours détenu par Titanic, il y a tout de même un pas, on en conviendra.

Cette étude est-elle de taille à relancer le débat sur la loi Création et libertés ? Le collectif de la Quadrature du Net, fer de lance de l’opposition au projet de la loi sur la Toile, n’est pas de cet avis. Pour Philippe Aigrain   , son conseiller en stratégie, "la sortie de cette étude est un non-évènement. Outre le fait qu’il faille prendre ce genre de statistiques avec des pincettes, compte tenu de leur origine, elle n’apprend rien de nouveau : on sait depuis longtemps que le téléchargement est un phénomène majeur. Surtout, cette étude ne permet aucune conclusion concernant les solutions à apporter. Son seul intérêt serait d’amener à une réflexion sur la nécessité de nouveaux mécanismes de financement de la création et de rémunération sur Internet. La question est bien là, mais les majors cinématographiques s’y opposent, de peur de perdre le contrôle de l’offre."

Pourtant, l’ALPA s’est bel et bien positionnée sur la question : elle considère le projet de loi Création et libertés comme une solution possible. Et l’association, créée par des majors du cinéma, de tirer la sonnette d’alarme : "La piraterie des films nécessite des mesures appropriées urgentes". Sans quoi, pourrait-on ajouter, le record du Titanic de James Cameron ne sera jamais battu


* À lire également sur nonfiction.fr : notre dossier sur le projet de loi Création et libertés.