Grâce à l'exploitation de sources inédites, Éric Anceau offre la biographie la plus complète à ce jour de Napoléon III.

Dans cette nouvelle biographie de celui qui fut le premier président d’une République française puis empereur des Français, Éric Anceau ne se fixe pas comme but principal de rectifier les contre-vérités d’une histoire longtemps menée à charge, ceci ayant déjà été très bien fait dans des biographies récentes   , mais justifie la réalisation d’une nouvelle biographie de Napoléon III   par la volonté d’apporter un nouvel éclairage sur sa vie et son œuvre, considérant que tout n’a pas été dit sur le neveu de Napoléon et que l’homme et le souverain restent incompris. Surtout, il veut corriger certaines erreurs présentes dans les biographies précédentes faute d’un travail sur des sources qu’il estime essentielles (les papiers secrets et les correspondances du Second Empire), car elles n’étaient alors pas accessibles.

Sur la forme, il s’agit d’un remarquable travail d’historien, qui s’est basé sur des documents nombreux et variés, depuis les livres et prises de parole de Napoléon III et sa correspondance, piliers de sa biographie selon l’auteur, jusqu’aux résultats des consultations électorales, aux articles de presse, en passant par les fonds d’archives et les correspondances des grands protagonistes du règne, ainsi que les archives judiciaires (pour les tentatives de coups d’État de Strasbourg et Boulogne) et celles de l’armée (pour l’étude de sa captivité au fort de Ham). À noter qu’Éric Anceau ne se contente pas de simplement citer ses sources et de délivrer son interprétation de celles-ci mais, de façon très intéressante, donne assez souvent directement au lecteur le texte - ou au moins un extrait de celui-ci - utilisé par l’historien, que ce soit dans le corps de la biographie ou dans les quinze annexes placées à la fin de celle-ci   . Par ailleurs, dans chaque chapitre on trouve un recours régulier à des notes où sont données de manière très complète les sources utilisées par l’auteur de la biographie, sources qui sont également regroupées et classées à la fin de l’ouvrage, accompagnées d’une bibliographie exhaustive des travaux sur Napoléon III. Enfin, un index des noms permet de naviguer facilement au sein de l’ouvrage.

Sur le fond, Éric Anceau divise sa biographie en quatre époques : "Les chemins du pouvoir (1808-1848)" ; "Du pouvoir sous contrôle au pouvoir sans contrôle (1848-1852)" ; "Les avatars d’un grand pouvoir (1853-1861)" ; "Du déclin à la perte du pouvoir (1862-1873)".
 
Dans la première partie de son ouvrage, l’auteur revient d’abord sur les années d’exil du prince impérial Louis Napoléon Bonaparte, essentiellement en Suisse, à Arenenberg et insiste sur sa conviction profonde, dès son enfance, qu’il serait un jour à la tête de la France. Il évoque ensuite ses premières conspirations, d’abord en Italie en 1831, aux côtés des patriotes italiens en faveur de l’unité nationale de la péninsule puis surtout en France, avec une description très minutieuse et vivante, au moindre détail près, de ses deux tentatives de coup d’État contre la monarchie de juillet, respectivement à Strasbourg le 30 octobre 1836 et à Boulogne le 6 août 1840, tentatives qui se soldèrent par deux échecs, la seconde entraînant la condamnation de Louis Napoléon à l’emprisonnement perpétuel au fort de Ham, d’où il finit par s’échapper le 25 mai 1846, après cinq ans et sept mois de détention, pour s'enfuir vers l’Angleterre.

Les deux parties suivantes concernent des aspects plus connus de la vie de Louis Napoléon Bonaparte, sa vie publique en tant qu’homme politique majeur de la République française puis en tant que premier personnage de l’Empire. La deuxième partie est centrée sur le mandat de président de la République exercé par Louis Napoléon Bonaparte puis son coup d’État du 2 décembre 1851 et la restauration impériale un an plus tard mais évoque aussi un aspect plus méconnu de la vie politique de Louis Napoléon, son court mandat de député suite à son élection triomphale lors des élections législatives des 17 et 18 septembre et qui toucha son terme suite à son élection comme président de la République lors de l’élection du 10 décembre. On découvre également dans cette deuxième partie un chapitre original sur la pensée politique du nouvel empereur des Français    : outre le rapport direct entre le souverain et le peuple via le suffrage universel, on y voit ainsi l’importance de la question sociale pour Louis Napoléon, devenu empereur en plein cœur du processus d’industrialisation.

La troisième partie s’intéresse à la première décennie du Second Empire, notamment ses succès à l’extérieur (guerre de Crimée ; Italie, avec les victoires de Magenta et Solférino en 1859) et ses réformes à l’intérieur du pays, réformes inspirées par la pensée saint-simonienne, que ce soit dans le domaine social (interdiction du travail le dimanche et les jours fériés, mise en place de sociétés de secours mutuels permettant aux ouvriers de venir en aide à un camarade malade ou accidenté) ou dans le domaine économique (création du Crédit mobilier, organisme devant diriger l’épargne des capitaux vers les grandes affaires industrielles ; développement des transports, notamment le transport ferroviaire), domaine dans lequel les dépenses étatiques, très importantes dans une conception de l’économie où l’État avait un rôle d’impulsion, étaient financées par l’emprunt (et non par l’impôt) car Napoléon III estimait que ses dépenses entraîneraient la création de richesses bien plus importantes qui permettraient le remboursement rapide de ces dépenses initiales (théorie des dépenses productives).



Enfin, dans la quatrième partie, Éric Anceau étudie ce que l’on qualifie traditionnellement d’Empire libéral et les premiers revers importants connus par Napoléon III, pour évoquer la guerre de 1870 et la relégation aussi bien politique que militaire que connut alors l’empereur des Français, très malade. Dans un dernier chapitre est enfin développé un aspect de nouveau assez méconnu du personnage, sa vie en Angleterre après la chute de l’Empire et son nouveau projet de coup d’État cherchant à le ramener au pouvoir en France, projet qui ne fut remis en cause que par la mort du dernier souverain des Français le 9 janvier 1872.

Si cet ouvrage est d’excellente facture, on peut cependant regretter tout d’abord le téléologisme du titre de la première partie de l’ouvrage, "Les chemins du pouvoir", comme s’il était inévitable que Louis Napoléon arrivât un jour à la tête de la France, impression que semble donner Éric Anceau dans le contenu même de cette première partie ainsi qu’en conclusion, en insistant régulièrement sur la persuasion de celui-ci d’avoir un destin hors du commun en étant amené un jour à diriger la France. Pourtant, ceci était bien entendu loin d’être joué d’avance et il est dangereux de décrire des faits en ayant déjà connaissance des événements ultérieurs et de la concrétisation de ce que Louis Napoléon pensait être sa destinée. De plus, qualifier le XIXème siècle de "siècle de Napoléon III" comme le Vème siècle avant Jésus-Christ avait été celui de Périclès et le XVIIe siècle celui de Louis XIV   apparaît très réducteur, même s’il est vrai que celui-ci incarne dans une certaine mesure - et pas à lui seul -, comme le rappelle l’auteur, le "siècle de l’industrialisation, de la foi dans le progrès, mais aussi des grands questionnements sociaux, le siècle des idéologies, des tensions entre l’ordre et le mouvement ou encore de l’aspiration conjointe à la stabilisation politique et la liberté, le siècle du romantisme, du réalisme et de l’éclectisme"   .

On a par ailleurs parfois l’impression d’un plaidoyer pro domo en faveur de l’empereur ou tout du moins une atténuation de ce qui a lui été le plus reproché : ainsi, Napoléon III n’aurait réalisé son coup d’État que pour empêcher un coup d’État et n’aurait rétabli l’empire que poussé par ses proches, presque "malgré lui" pour reprendre la formule de Persigny, fidèle serviteur de l’empereur des Français. Par ailleurs, les mesures sociales qu’il aurait voulu entreprendre dès son arrivée au pouvoir auraient été rendues impossibles voire difficiles à cause d’une majorité soutenant le régime composé dans l’ensemble de bourgeois et hostile aux initiatives en faveur des classes populaires. On peine ici à croire que le souverain, bénéficiant d’un "pouvoir sans contrôle", pour reprendre l’expression d’Éric Anceau, aurait eu des difficultés à imposer ses vues, même s’il est certain qu’il devait tenir compte d’une assise sociale plus étroite que ne le souhaitait le souverain, qui voyait le bonapartisme comme une synthèse des aspirations des différentes couches de la société et où le peuple dans son ensemble avait un rôle central. Cependant, si le régime, qui ne sut créer une force à proprement parler bonapartiste à même de le soutenir, était appuyé par une bourgeoisie qui avait déjà été un pilier de la monarchie de juillet et plutôt rejeté par les classes populaires des villes, les classes populaires et moyennes des campagnes, alors que la France rurale était encore très largement dominante, lui étaient largement acquises.

Quant à conclure sur la nécessité d’inclure de manière positive Napoléon III et son œuvre dans la mémoire nationale, ce ne serait certes pas le premier personnage ayant renversé une République française pour mettre en place un Empire à être honoré de la sorte, mais est-ce bien le rôle d’un historien de demander que soit honorée la mémoire d’un personnage historique, quel qu’il soit ? Nous avons tendance à penser que non. Il n’en reste pas moins que si Éric Anceau considérait Napoléon III comme un personnage toujours incompris lors de sa décision d’entreprendre cette biographie, cela n’est plus le cas après la lecture de son ouvrage : désormais Napoléon III et son œuvre sont bien compris, que l’on juge son œuvre de manière positive ou non