Un ouvrage nécessaire à tout enseignant d’histoire désirant replacer les images au cœur de son enseignement et fournir un outillage critique à ses élèves.

Entre des liposuccions à répétition sur le mammouth qui prennent des allures de saignées médiévales, les injonctions programmatiques qui deviennent obsolètes à chaque nouveau ministre et enfin la volonté manifeste d’en finir avec un "pédagogisme" fantasmagorique qui a pourtant eu pour vocation d’impliquer autant que faire se pouvait tous les élèves dans la construction des savoirs, il faut bien admettre que l’heure actuelle n’est pas propice à la recherche didactique et pédagogique. Et pourtant, certains esprits archaïques, et ce d’autant plus qu’ils appartiennent à une institution avortée après quelques années de gestation (les IUFM), s’évertuent à questionner la pratique enseignante.

Dans le dernier ouvrage paru dans la collection "Les enjeux du système éducatif", Briand et Pinson s’intéressent à la place de l’image dans l’enseignement de l’histoire. Ils partent d’un triple constat : l’image a gagné, difficilement certes, son statut d’objet historique à part entière dans la recherche ; elle occupe en outre une place centrale dans les manuels et dans l’enseignement scolaire ; enfin, les publics scolaires évoluent dans un monde du "tout image" qualifié de "vidéosphère". En outre, on ne peut questionner l’image dans sa seule matérialité : si elle informe sur son contexte de production, elle doit aussi être appréhendée dans ses modalités de diffusion et de réception. L’image quelque soit sa forme laisse des traces, des sédiments qui permettent la construction des mémoires et des représentations collectives. Les auteurs expliquent ainsi l’importance de la place de l’image dans l’enseignement dans la mesure où c’est "un document d’histoire : porteur d’histoire, produit de l’histoire et produisant de l’histoire".

Briand et Pinson appellent à en en finir avec l’usage purement illustratif des documents picturaux pour au contraire l’"installer au cœur de la démarche" d’enseignement. Les différents types d’entrées les plus couramment utilisées par les professeurs d’histoire dans leurs séquences sont présentés, et des propositions utiles et concrètes permettent de fournir des clefs rapidement mobilisables pour l’enseignant. Evoquons notamment le problème de l’"événement sans image" que constitue la Shoah. La mémoire de la tragédie s’est structurée par le biais de nombreuses photographies dont l’indexation est erronée, en raison notamment d’une instrumentalisation forte des ces images par les différentes parties en présence (nazis, alliés…). Les auteurs soulignent ainsi une nécessaire "analyse archéologique" pour permettre aux élèves de se constituer une méthodologie critique vis à vis de ces supposées représentations du réel que sont les images. Cette archéologie passe notamment par la présentation du contexte de production, une explication des différents points de vue et surtout une réflexion sur la place des images dans la mémoire collective, afin de souligner les usages postérieurs de celles-ci dans des domaines divers.

En second lieu, l’apprentissage d’une démarche critique doit passer par l’analyse de la mise en scène du passé pour les besoins contemporains. Les auteurs proposent notamment l’étude en classe de la production mémorielle de Vercingétorix comme héros national sous Napoléon III ou encore celle du célèbre Cuirassé Potemkine afin de souligner la présence de questionnements contemporains dans les productions cinématographiques soviétiques.

Après avoir présenté plusieurs situations d’enseignements avec l’image, brillamment résumées via un tableau synthétique, les auteurs s’intéressent à l’enseignement de l’histoire par l’image. Du film Saladin de Chahine comme entrée pour les Croisades, aux œuvres de David en tant que représentations des périodes révolutionnaire et impériale, l’objectif est le même : "faire accéder à la connaissance historique" et enseigner aux élèves une méthodologie critique.

Les auteurs convainquent de cette nécessaire actualisation de la place de l’image grâce à ces nombreux exemples. Mais ils permettent même d’envisager la construction de séquences complètes autour du domaine de la représentation picturale. En effet, ils proposent la construction d’une histoire de la photographie comme caisse de résonance des transformations sociales et culturelles depuis sa naissance jusqu’à 1945. Les propositions des auteurs sont très intéressantes et ont le mérite de permettre la formation à un esprit critique tout autant qu’une dynamique singulière et a priori stimulante dans le déroulement des séquences d’enseignement d’histoire, qui ne peuvent qu’impliquer davantage les élèves.

Les problèmes liés à l’usage d’images en cours sont évoqués et les moyens d’y remédier permettent au professeur de surmonter sa frilosité bien légitime quant à ce support. Mais c’est surtout la présentation de ressources mobilisables et facilement accessibles qui confère à cet ouvrage un intérêt manifeste pour tout enseignant désirant utiliser différemment les images.

Si l’on peut regretter l’omission de certaines interrogations liées aux usages pédagogiques de ces supports (le travail sur les représentations des élèves, le problème de l’hétérogénéité des publics scolaires mais aussi et surtout la question du temps dont dispose l’enseignant pour mettre en place de telles séquences…), Enseigner l’histoire avec des images propose des solutions stimulantes et rapidement mobilisables afin de réhabiliter l’image et permettre au professeur de sortir des "usages pauvres" de celle-ci. L’ouvrage rappelle que l’école est partie prenante d’une société où la représentation du réel sous toutes ses formes est reine. Il revient donc à l’enseignant de fournir à ses élèves un outillage critique permettant de comprendre le monde qui l’entoure et ce par une indispensable mise à distance