Le stade de l’extase postélectoral est révolu depuis longtemps, et le président de la République est désormais en conflit plus ou moins ouvert avec un nombre croissant de médias. Après s'être révélée lors du vote de la loi sur la protection des sources et l'ambiance  pour le moins tendue qui l'entourait, cette lutte sans merci (ni bonjour, en tout cas à France 3 !) se cristallise aujourd’hui principalement autour de la question épineuse du financement de la télévision publique. Dans la presse, sur les ondes ou les écrans, les positions des journalistes, forcément concernés par le chamboulement d’un pan important du paysage médiatique français, vont généralement de la neutralité polie à la réponse (un peu) plus virulente. En tout cas, l'avenir de l'audiovisuel public engendre bien des inquiétudes.

Alors, quand le président de la République décide qu’il nommera personnellement le président de France Télévisions, une nouvelle prérogative accordée à l'exécutif, prétendument encadrée   , il est prévisible que certains crient au scandale.

C’est ce qu’a fait l’actuel patron du groupe de la télévision publique. Après avoir menacé de démissionner s’il n’obtenait pas des garanties financières, Patrick de Carolis a en effet vilipendé la façon dont le chef d’État concevait France Télévisions dans une interview ayant fait grand bruit: "Lorsqu'on dit qu'il n'y a pas de différence entre la télévision de service public et les télévisions privées, je trouve cela faux, je trouve cela stupide, et je trouve cela injuste." Le bras de fer entre de Carolis et le pouvoir venait à peine de débuter que déjà les noms de ses successeurs potentiels se multipliaient.


Stupeur et tremblements

Les relations entre les journalistes et le président de la République ont toujours été tumultueuses, faites d'une sorte de mélange explosif d’admiration, d’exaspération et surtout d’intérêt partagé : les médias sont nécessaires à Nicolas Sarkozy, et le Président est un sujet d'actualité à lui tout seul, il "fait vendre". La différence, c’est que ces rapports d'amour vache s’extirpent aujourd’hui de la futilité de quelques polémiques personnalisées stériles pour couvrir finalement le champ d’une réflexion beaucoup plus large : l’avenir d’un ample pan de la démocratie citoyenne, à travers la pérennité du service audiovisuel public. Si la modernisation de l’audiovisuel public bénéficie d’un large consensus, l’écueil provient des moyens qui seront mis en œuvre à cette fin. Passé l’effet de surprise, la suppression de la publicité, annoncée avec fracas le 8 janvier par Nicolas Sarkozy, avait provoqué pas mal d’espoir mais également beaucoup de tensions chez les acteurs de l’audiovisuel public. Ces derniers ne sont toujours pas rassurés. La suppression de la publicité a beau être une "vieille idée de gauche" sortie des fonds de tiroir, elle reste une bonne idée, mais seulement si elle s’accompagne de ressources supplémentaires. Or, de l’avis des dirigeants de France Télévision, les garanties manquent.



La Commission sur la nouvelle télévision publique, présentée le 26 juin par Jean-François Copé, promettait de compléter les pertes de revenu liées à la suppression de la publicité par le biais du budget. L’idée a été balayée d’un revers de main par Nicolas Sarkozy, qui a préféré parier sur une augmentation majeure de la taille des opérateurs de téléphonie mobile et fixe et des fournisseurs d’accès à Internet, en choisissant d'indexer leur chiffre d'affaire à hauteur de 0,9 %. En revanche, la taxe sur le chiffre d’affaire des chaînes privées restera à 3 %, comme prévu. Un pourcentage insignifiant comparé aux rentrées d’argent massives générées par la captation des recettes publicitaires. En tout cas, des mesures nettement insuffisantes selon les dirigeants de France Télévision, pour qui "le compte n’y est pas".


On achève bien les chevaux

Autre problème, et il est de taille : ces dispositions pourraient tout bonnement être invalidées par Bruxelles. À ce titre, l’accession de la France à la tête de l’Union européenne jouera vraisemblablement dans les deux sens : d’une part, la France serait incitée à filer droit durant les six mois de sa présidence. À l’inverse, la communauté serait peu encline à taper sur les doigts de son président par intérim.

Dans ce débat aussi passionnant qu’inquiétant pointe la traditionnelle confrontation entre le public et le privé, ou plus encore, entre la politique et l’économie. Mais celle-ci est singularisée de fait par le statut spécifique du secteur de l’audiovisuel public, producteur de programmes de service public, œuvrant pour l’intérêt général, vecteur de démocratie, transmetteur de citoyenneté. Nicolas Sarkozy, qui a déclaré qu’ "il n’y a aucune raison que le président de France Télévisions soit nommé différemment que celui de la SNCF, d’EDF ou de la RATP", ne l’a apparemment pas compris

 

* À lire également sur Nonfiction.fr :

- La critique du livre d’Olivier Duhamel et de Michel Field, Le starkozysme, par Roman Abreu

 

- La critique du livre de Shelly Palmer, Television disrupted : Transition from Network to Networked TV, par Nicolas Gaudemet