La diversité culturelle à l'heure de la globalisation dans un ouvrage collectif critique et constructif.

C’est un livre qu’on lit avec gourmandise. La diversité culturelle est en effet venue telle une antienne envahir les débats de politique culturelle et les discussions sur les effets de la mondialisation. Mais les acceptions de ce mot-valise fluctuent au gré des travaux de recherche et des actions effectives, et la Convention de l’Unesco n’a pas vraiment clarifié la question.

Les contributions rassemblées par Lluis Bonet et Emmanuel Negrier, qui allient approches théoriques et illustrations empiriques sont de ce fait très précieuses, même si elles sont de qualité un peu inégale - mais n’est-ce pas le lot de tous les ouvrages collectifs ? On regrettera d’ailleurs que certaines sources soient absentes ou peu mentionnées. L’intérêt de l’ouvrage réside surtout dans la juxtaposition de contributions de chercheurs venus de différents horizons disciplinaires et nationaux.

Qu’est-ce que la diversité culturelle, et que peut-on entendre par "politique culturelle" à l’heure des métissages, de l’hybridation des cultures et de la globalisation ? La plupart des articles font état des évolutions récentes des politiques culturelles ; tous insistent sur la mise en avant du multiculturalisme (au sens de la défense des communautés), mais aussi sur la volonté de le dépasser de façon à éviter la tentation du repli identitaire et du conflit qu’il génère. La diversité est porteuse de paradoxes : elle sous-tend un message d’équivalence entre toutes les formes de différence. Elle devient alors une forme de dénégation de cela même qu’elle entend préserver. C’est pourquoi il est plus pertinent d’évoquer l’existence d’une pluralité de diversités.

Plusieurs auteurs débattent de l’autonomie du champ culturel, au fondement des politiques dites de l’exception, auxquelles les politiques de la diversité répondent en embrassant questions sociales et culturelles dans une dynamique commune. Les passages sur les politiques sud-américaines sont particulièrement intéressants. On aperçoit la variété des politiques bolivienne, brésilienne, colombienne, argentine notamment, avec par exemple les débats qui se sont déroulés en Argentine au sujet de la légitimité de mener des politiques culturelles dans un pays où l’on a faim. Sur un autre registre, le Brésil de Lula et de son ministre de la culture Gilberto Gil eut maille à partir avec des artistes qui en fustigeaient le dirigisme. Reconnaissons-le : la globalisation crée en miroir inversé une focalisation sur le local, au risque du collectionnisme ou de la transformation des "réserves protégées" en "marchandises de la globalisation" (Monica Lacarrieu, p. 49).

Antoine Leonetti détricote "l’épreuve conventionnelle de l’Unesco" en en montrant toutes les limites : la diversité au sens de la convention n’est pas la diversité de proximité, mais bien plus celle qui distingue les peuples les uns des autres. Or les grands conflits surgissent plus que fréquemment de populations voisines. C’est dans la logique des droits culturels qu’une solution doit être recherchée. La Convention les identifie à des droits économiques d’un côté, et à des droits à l’identité multiple de l’autre. Quel qu’en soit le contenu programmatique, force est de reconnaître que le degré d’obligation des États de se conformer aux prescriptions de la convention demeure bien faible.

D’autres exemples sont exposés, comme celui du Royaume-Uni, dans un papier qui demeure un peu court mais qui montre l’évolution des mesures qui intègrent désormais un volet de politique anti-discrimination notamment. Le cas des Pays-Bas est analysé par Eltje Bos et Cas Smithuijsen, qui relèvent un mouvement atypique de recentralisation des politiques publiques, alimenté par la prise de conscience des dérives identitaires qui se développent au sein des minorités. Comment articuler référents collectifs et cultures minoritaires ? Tous les pays tâtonnent en la matière, et certaines contributions n’hésitent pas à faire état des échecs de la multiculturalité (voir l’article d’Ilda Curti et Luca Dal Pozzolo sur l’expérience piémontaise). Jordi Caïs Fontanella et Joan Manuel Garcia Jorba voient dans le modèle catalan un "modèle culturel sans politique culturelle" où les politiques linguistiques d’une part et sociales d’autre part suppléent à la politique culturelle.

En fin d’ouvrage, Emmanuel Négrier se risque à une comparaison France-Espagne, mettant en évidence avec finesse le refoulement historique français fondé sur une idéologie universaliste, qu’il oppose au refoulement historique espagnol qui, au cours de la période franquiste, joua de la promotion de l’identité nationale.

Bref, c’est là un livre critique mais aussi constructif, Emmanuel Négrier et Lluis Bonet n’hésitant pas en fin de parcours à dresser quelques pistes pour une "gouvernance multi-niveaux de la diversité", et à plaider pour que la culture occupe une place nouvelle dans un cadre multipolaire respectueux du pluralisme des identités.