Alors que se tenait entre le 22 et le 26 juin à Paris, la 32ème réunion internationale publique de l'Icann   , son président Paul Twomey (notre photo) déclarait aux Échos du lundi 23 juin 2008 : "Outre les .com, .net ou .org dès le premier trimestre de 2009, les 1,3 milliards d'internautes pourront acquérir des adresses génériques, en déposant des mots courants comme .amour, .haine ou .ville ou encore des noms propres". Tandis que le contrat entre l'Icann et l'administration américaine prend fin en septembre 2009 et au vu du nombre croissant de sites web   , le risque de saturation des adresses IPv4   est réel, mais au delà, c'est un nouveau modèle de gouvernance Internet   qui se profile, basée sur la doctrine du "Perfect Sunrise".

Avant, pour déposer un nom de domaine, le choix était restreint. L'Icann, maison mère des adresses Internet, attribuait d'elle même ou via une délégation une extension générique à un acteur sur le plan géographique (.com, .de, .fr...) et/ou institutionnel (.gov, .info, .biz...). En France, c'est le rôle d'une association filiale de l'Icann : l'Afnic (Association française pour le nommage sur Internet en coopération). Les adresses numériques sont appelées gTLD (generic Top Level Domain). Elles impliquent les internautes eux mêmes, mais aussi les propriétaires de marques et les opérateurs de registre (comme l'Afnic). Depuis 1985, l'Icann décompte 21 gTLD dites "de premier niveau". En clair, comme chacun est en mesure de créer son site web   , les ressources critiques du web pourraient s'amenuiser (adresse IP, URL, gTLD...). Il s'agit d'en financer le coût par la vente de nouvelles adresses et une transition technologique vers la norme IPv6. Paul Twomey propose une libéralisation sans précédent du marché des adresses Internet. Le droit d'inventer des noms de domaine ouvre de nouvelles perspectives à tous les acteurs numériques. Il va même jusqu'à autoriser le dépôt d'adresse en caractères chinois, cyrilliques et arabes. Si les racines vétéranes .fr, .net ou .org resteront sur le marché, les créations de noms de sites, désormais quasi illimitées   , appellent maintenant une gouvernance mondiale du numérique jusqu'ici complexe et tatonnante.

Sur le plan économique, l'ouverture d'une offre élargie de noms de domaines va-t-elle faire baisser mécaniquement les prix des adresses de sites ? Possible pour l'adresse commune, mais la concurrence va faire rage sur les extensions d'exception (.luxe, .foot, .film, etc.). Et si l'Icann propose, en cas de conflit, une mise aux enchères (qui risque de voir les plus forts se tailler la part du lion), les litiges de propriété intellectuelle risquent de toute évidence d'exploser face à l'infini de multiplication des combinaisons possibles (ex : or.eal, cool.itude, fash.ion...). Selon l'Icann, le coût de cette opération annoncée comme non lucrative s'élève à 20 millions de dollars. L'association va restreindre la libéralisation à 5 000 extensions dans un premier temps mais en prévoît beaucoup plus par la suite. Elle révèle un prix d'achat de gTLD exprimé en plusieurs centaines de milliers de dollars.


A new web deal ?

De fait, nous allons assister au second round d'un eldorado numérique. L'internaute y gagne à naviguer sur des adresses astucieuses. Ce n'est pas une révolution technique mais bien une évolution identitaire qui va transformer l'image du web en terme "corporate", de brand strategy (stratégie de marque). Rappelons-nous des noms de domaines achetés une fortune (vodka.com a coûté 3 millions de dollars, l'acquéreur de pizza.com a dépensé 2,6 millions de dollars), ou des altercations politiques pendant les élections (chirac.fr). Cela relance donc la course du "cybersquatting" (spéculation d'anticipation sur un nom de domaine rentable sur Internet.) puisque certains noms de domaine (.luxe, .gay, .foot) représentent déjà une manne massive de spéculation financière numérique, non moins virtuelle que prolifique. Que dire, que faire si le club de football du PSG possède le site .om ? Bien plus qu'une provocation, le renouvellement du stock d'adresses web amène une nouvelle série de positionnement stratégique sur le web. D'autre part, à l'aide du spamdexing et du code 301 (redirection de liens), les prises de positions sur les nouveaux noms de domaines sont une vraie opportunité de croissance pour le secteur. Croissance financière mais aussi, de croisière ou de trafic. Cette extension des noms de domaines permettra la création de nouvelles identités pour les sites Internet, capables de créer une nouvelle audience et d'en intensifier la circulation. En cela, l'extension des noms de domaine est vraiment un new web deal.


Des sites et des litiges ?

La compétence juridictionnelle sur l'Icann est un enjeu typique de gouvernance Internet. Sur ce point, le président de l'Icann déclarait aux Échos : "Si deux individus tentent de déposer une même extension, nous leur donnerons trois mois pour régler leur litige à l'amiable. Si l'affaire ne se règle pas, l'extension sera mise aux enchères et ira au mieux-disant. L'Icann supervisera le processus."

Si l'association régulatrice du marché ouvre son monopole pour favoriser la croissance numérique, elle devrait conserver son droit de veto (structure juridique requise pour nommer un site avec d'importants droits de dépôt). Mais face à ces nouvelles possibilités numériques, l'Icann pose déjà quatre limites. Premièrement, le respect du droit des marques (ex : l'adresse .loreal sera rafiliée à sa maison mère). Deuxièmement, l'interdiction d'imiter les extensions existantes (.kom, .1faux). Ensuite, elle recommande le respect de l'identité d'une communauté reconnue par ses pairs (notamment pour les extensions régionales ou religieuses) et prohibe de manière plus floue, l'atteinte à la morale et à l'ordre public (.pute, .terrorisme, etc.). Déjà en France, l'Afnic interdit les noms de domaine portant atteinte aux droits des tiers, à l'ordre public, aux mœurs, à une religion ou une race ou à tous termes réservés.

En droit international numérique, la bataille pour la propriété intellectuelle des noms de domaines des marques prestigieuses et des niches d'avenir va faire rage et mobiliser moults services juridiques. Pour l'instant, deux solutions juridiques s'offrent en cas de litige sur un nom de domaine. Le recours à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ou l'arbitrage d'un expert (plus discret). A l'OMC, c'est l'Uniform Dispute Resolution Policy qui prime.

Concernant les règles en vigueur au cours de ces arbitrages de circonscription numérique, ces quatre jours de conférence ont confirmé la suprématie de la doctrine dite du "Perfect Sunrise". Avatar bâtard de constitution numérique, sorte de charte des adresses web, conçue par le GNSO   de l'Icann et de Marques (Association des propriétaires européens de marques), "Perfect Sunrise" est une doctrine d'attribution des gTLD qui, mélangeant enchères, droit des marques et humanisme, définit des principes de bonnes pratiques entre l'Icann et ces opérateurs de registres qui la représentent et deviennent propriétaires des nouvelles adresses. Le principe du premier arrivé, premier servi est confirmé et soutenu par différents éléments d'accréditation (pour devenir opérateurs de registre), d'allocation (pour acheter une adresse ou une extension) et de jurisprudence litigatoire.

L'Icann renforce donc sa primauté juridictionnelle et se pose davantage comme un acteur incontournable du net. Reste à prouver que l’Icann ne sera pas juge et partie dans un protocole d'attribution des adresses très financiarisé, asymétrique au niveau décisionnel, complexe sur le plan juridique et opaque pour le volet technique. Elle ne pourra recourir au tirage au sort dans son système d'allocation, considéré comme une loterie illégale aux États-Unis. Elle devra administrer au cas par cas, l'ouverture des premiers sites, prévue pour 2009. Et faire quelques fortunes d'ici là.