25 économistes pour 27 grandes questions : un livre intéressant, bien qu'inégal.

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Comme toute science, l’économie a parfois besoin de faire arrêt sur elle-même pour tirer des conclusions simples de l’ensemble de ses travaux. Avec 27 questions d’économie contemporaine, c’est à une telle entreprise que nous assistons, même s’il eut été plus honnête de titrer le livre Les travaux contemporains du CEPREMAP et de l’ENS au vu des auteurs des 27 articles composant cet ouvrage collectif sous la direction de Daniel Cohen et Philippe Askenazy, respectivement directeur et directeur adjoint du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP).

En 27 articles, il s’agit donc de faire le bilan des recherches en cours au CEPREMAP et à l’ENS. Ce projet a dû donner bien du mal aux directeurs de l’ouvrage pour trouver une cohérence à l’ensemble, comme en attestent les parties composées d’un seul article (partie II sur la guerre et la paix, partie III sur pauvreté et développement, partie IV sur un nouveau modèle économique pour le marché du travail français) ou les articles dissonants dans certains ensembles (en l’occurrence les deux articles de Bruno Amable sur le rôle des institutions sur le marché du travail et d’Anne Perrot sur la politique de la concurrence dans la partie du livre intitulée "Dictionnaire abrégé de la mondialisation"). Mais la qualité de certains articles permet de pardonner aux directeurs ce manque de précision dans la structure de l’ouvrage.

Trois ensembles d’articles sont malgré tout distinguables. Dans une première partie intitulée "Paix et guerre entre les nations et les personnes", quatre articles permettent d’adopter une perspective internationale sur des questions économiques diverses. Un article de Denis Cogneau ("L’Afrique des inégalités : où conduit l’histoire") permet à l’auteur de résumer l’ensemble de ses travaux sur les inégalités en Afrique tandis que Philippe Martin, Thierry Mayer et Mathias Thoenig proposent un article de recherche ("La mondialisation est-elle un facteur de paix ?") sur l’hypothèse de Montesquieu du "doux commerce". Ils montrent ainsi que les accords bilatéraux de commerce sont sources de paix entre les nations tandis que les accords multilatéraux sont sources de conflits. On notera surtout les deux excellentes revues de littérature proposées par Andrew Clark et Claudia Senik ("La croissance rend-elle heureux ?") et André Orléan ("Les marchés financiers sont-ils rationnels ?"). Ces deux contributions permettent de faire très clairement le point sur le rapport entre la croissance de la richesse et la croissance du bien-être dans le premier article, et des limites à la rationalité des acteurs sur les marchés financiers dans le second.

La deuxième partie de l’ouvrage intitulée "La France face à son destin" propose quant à elle un ensemble d’articles sur la France par le biais de l’analyse du marché du travail, des jeunes, de la Sécurité Sociale (santé et retraites) et des conditions de la concurrence sur les marchés de la grande distribution et de l’électricité. À l’exception de l’excellent article de Marc Gurgand et Eric Maurin ("Faut-il craindre l’inflation des diplômes ?") et de celui de Dominique Goux et Cyril Nouveau ("Le chômage des jeunes baisse-t-il ?"), qui sont des articles de recherche, cette partie propose une série de revues de la littérature économique. Les contributions les plus appréciables portent sur des sujets aussi divers que le marché du travail danois par Robert Boyer ("La flexicurité danoise : quels enseignements pour la France ?"), le système français de santé par Pierre-Yves Geoffard ("La régulation des dépenses de santé : comment faire ?"), la concurrence dans la grande distribution par Philippe Askenazy et Katia Weidenfeld ("Faut-il solder la loi Raffarin ?") et la concurrence sur les marchés de l’électricité par David Spector ("Electricité : faut-il désespérer du marché ?"). Ces quatre articles ont en effet le mérite de présenter clairement les théories économiques sur leur sujet et d’y associer des preuves empiriques convaincantes. Une mention spéciale est à accorder aux articles de Pierre-Yves Geoffard et de David Spector qui montrent par leurs commentaires que la science économique peut proposer différentes voies pour résoudre un problème économique unique comme le déficit de la Sécurité Sociale ou les prix de l’électricité à l’horizon 2030.

La dernière partie intitulée "Dictionnaire abrégé de la mondialisation" propose quant à elle diverses contributions beaucoup plus courtes (15 articles en moins de 100 pages) sur le thème de la mondialisation (à deux exceptions près). Ces contributions – équivalentes dans de nombreux cas à de courtes notes – permettent de présenter avec plus ou moins de cohérence interne des articles de recherche récents. Thierry Verdier présente ainsi divers modèles sur des sujets aussi variés que la culture, le terrorisme ou l’exploitation des matières premières dans la mondialisation. Sylvie Lambert s’attaque par quelques courtes notes aux questions des migrations, de transmissions des inégalités et de développement. Les contributions les plus intéressantes de ce "dictionnaire" restent alors celles de Philippe Martin et d’Akiko Suwa-Eisenmann. Le premier s’attache notamment à expliquer clairement les implications du déficit extérieur des États-Unis ("Le déséquilibre américain" et "Jusqu’où ira la baisse du dollar ?") : il montre ainsi à partir de divers travaux que la baisse du cours du dollar n’est peut-être pas si nécessaire que cela, soit parce que le déficit extérieur des États-Unis est mal évalué (notamment quand on se rend compte que les actifs détenus par les États-Unis à l’étranger ont un rendement supérieur à leur dette extérieure) soit parce que le déficit extérieur des États-Unis dispose d’autres canaux que le taux de change (et notamment la diversité des biens exportés) pour s’équilibrer. Akiko Suwa-Eisenmann résume quant à elle l’état de la recherche sur différents outils du protectionnisme commercial ("Accès au marché et régionalisme") comme les règles d’origine.

27 questions d’économie contemporaine est ainsi un ouvrage collectif intéressant, remplissant dans une large mesure son objectif de présentation de l’état de la recherche française et internationale en économie, malgré des différences qualitatives, hélas inévitables, entre les différentes contributions.