Figure atypique, le comptable devenu saltimbanque propose un blog qui chahute la classe politique italienne. Portrait.

Beppe l’anti-système

Qui est donc celui dont Romano Prodi commente quasi quotidiennement les prises de position ? Qui est celui qui fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de fans ? Quelles causes rassemblent en Italie près d’un million de signatures ? Qui est celui, qui, à la tête du blog le plus fréquenté d’Italie, bénéficie d’une popularité sans égal ?

C’est Beppe Grillo, ce "comique de métier" qui approche la soixantaine. Comique, il le devient par hasard, après des études de comptabilité. Découvert dans un cabaret milanais où il faisait des sketches, Grillo entre à la Rai en 1977 où il participe à diverses émissions. La consécration arrivera l’année suivante, où il co-présentera le festival de chanson de San Remo. Figure médiatique familière depuis lors, il devient une vedette télévisuelle à laquelle des émissions entières sont consacrées, et acquiert ses galons de notoriété en apparaissant dans la publicité pour la marque de yaourt Yomo. Ce spot, largement diffusé, installera son personnage et son style. Tout rond, la barbe et la chevelure volontiers hirsutes, spontané et vociférant comme d’autres murmurent, "le" Grillo mélange humour de l’absurde et comique de situation avant d’en venir au combat politique.

Son premier essai en la matière fut sans doute le catalyseur de sa carrière : au cours d’une émission de variété dont il avait en charge la présentation, il s’engage dans quelques digressions acides sur Bettino Craxi, leader socialiste de l’époque – ce fut assez pour lui valoir une mise à l’écart de l’antenne. Privé de ce canal, il se consacre au cinéma où il participera, en tant qu’acteur, à des films de Comencini et Risi, entre autres. A la faveur de la constitution d’un nouveau conseil d’administration de la Rai, Grillo revient sur la chaîne nationale en 1993, et inaugure rien de moins qu’un "Beppe Grillo Show". Le succès est faramineux. Les taux d’audience battent quelques records footballistiques : le public découvre un Beppe dénonciateur et comique. Après deux numéros, Grillo part à la conquête des scènes italiennes et entame une tournée qui ne cessera plus, changeant chaque année de spectacle. Ce long monologue, qui se tient en moyenne plus d’une fois par semaine dans une ville de la péninsule, rassemble quelques dizaines de milliers de personnes chaque soir – dans un stade, le plus souvent. Mettant ses compétences de comptable à l’œuvre, Grillo dénonce les méfaits de la classe dirigeante italienne et la mauvaise gestion des entreprises publiques. Le cas Telecom Italia devient le symbole dont il s’empare en 1994, exhortant les petits porteurs d’actions de la société partiellement privatisée à prendre le pouvoir et à se séparer des dirigeants. Malgré un premier échec pour vice de forme, il interviendra en 2007 lors de l’Assemblée générale de l’entreprise pour en fustiger la gestion.   . Après avoir inauguré son blog, qui devient le plus consulté d’Italie, il publie son premier livre en 2006, et, compilant ses prises de position publiques, signe son entrée dans la sphère politique. Le best-seller immédiat sert alors de base à une contestation "anti-politique" de gauche. L’officialisation de ses ambitions viendra en 2007, lors du "V day" (Vaffanculo day) lors duquel il précisa ses idées et ses propositions. Cette "journée d’information, voie médiane entre le jour du débarquement des Américains en Normadie, D-Day, et la Vendetta" rassemblera plusieurs centaines de milliers de fans italiens venus pour entendre celui qui, aussi entêté que les grillons (il grillo) les nuits d’été, vitupère contre les puissants "sans idées et sans dignité".


Grillo le politique

Quatre propositions forment le socle de son combat : le renvoi des députés condamnés (ils seraient 25 à la camera dei deputati), la limitation à deux législatures avec effet rétroactif (ce qui aurait pour conséquence un renouvellement du personnel politique italien dans sa grande majorité aux prochaines échéances) et l’abolition des partis, afin de redonner aux citoyens le choix direct des candidats qui se présentent à leur suffrage. Un sondage de septembre dernier donnait 50% des électeurs de gauche prêts à voter pour Grillo dans une éventuelle élection. Effet direct : Beppe annone dans la foulée du V-Day la constitution de listes "civiles" pour les prochaines élections.

Les réactions face à Grillo sont multiples, mais tous les hommes politiques cherchent à lui emboîter le pas d’une manière ou d’une autre. L’Italie redécouvre un mouvement populaire à gauche dont les bases idéologiques sont encore floues, mais qui, en puissance et notoriété, rappelle les premiers feux de la berlusconienne Forza Italia. Tribun hors du commun, Grillo se saisit de tous les sujets, de l’écologie à l’économie de marché, de l’Irak à l’emploi, séduisant les jeunes urbains italiens "no global" (l’équivalent de nos altermondialistes) et certains jeunes talents politiques de gauche. Illustrant parfaitement le goût transalpin de la discussion animée où les vociférations constituent des ressorts ultimes au secours d’un raisonnement vacillant, Grillo s’applique cependant chaque jour à fournir preuve et arguments contre les dysfonctionnements qu’il dénonce. Ainsi, il n’est pas un débat politique qui n’évite le sujet, il n’est pas d’interviewé qui n’ait pas à se positionner par rapport aux derniers "posts" du blog de Grillo. Dernier en date, vendredi 5 octobre 2007 à 13h13. Grillo déclare que "l’Italie ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens" et qu’elle "ne peut décharger sur ces citoyens les problèmes de dizaines de milliers de Roumains qui affluent en Italie", avant de conclure que ce problème est "un volcan, une bombe à retardement qu’il faut désarmorcer". Les propos font scandales et certains prophétisent "la mort" de Grillo. Hommes d’église et figures politiques stigmatisent le racisme latent du saltimbanque engagé, lui renvoyant son fameux  "Vaffa…."

Mais la peau de l’ours génois est épaisse, et les perspectives électorales se précisant, il ne compte pas quitter la bataille, qu’il nous invite à suivre sur son blog, dont la version anglaise est désormais en ligne. Au cas où…

 
http://www.beppegrillo.it/