Clément Viktorovitch alerte sur l’usage dévoyé du langage par les gouvernants et ses effets sur la qualité du débat démocratique.
Dans son nouvel essai, Logocratie, le politiste et streamer Clément Viktorovitch nous alerte sur ce qu’il présente comme une pathologie de la démocratie, dont la France ne serait pas exempte, à savoir la dérive d’un pouvoir qui ne se sent plus tenu de respecter la vérité et manipule le langage à son profit pour échapper à toute responsabilité. Ainsi, le fait qu'Emmanuel Macron prétende se mobiliser contre les fake news tout en tordant la réalité lorsque cela l’arrange devrait nous interpeller davantage, explique-t-il.
La communication d’Emmanuel Macron a toujours été problématique. Il ne croit pas aux vertus du débat contradictoire : il fait semblant. Il n’assume pas ses propos, inverse le sens des mots, parle pour ne rien dire et tord la réalité lorsque cela l’arrange (tous éléments que l’auteur documente soigneusement dans son ouvrage). Cette manière de faire déteint sur ses ministres et, plus largement, sur l’ensemble de ses soutiens.
À ce titre, l'auteur établit un parallèle entre Bolsonaro, Trump et Macron, expliquant que leurs pratiques n’auraient pas été possibles sans les libertés qu’ils se sont tous accordées, dans leurs discours, vis-à-vis de la réalité. Mais de ce point de vue, Trump se situe un cran au-dessus : lui ne prend même plus la peine de faire semblant. Peu lui importe la réalité, pourvu que les mots produisent l’effet recherché – rallier une majorité de l’opinion, souvent en désignant ses adversaires à la vindicte.
N'en déplaise à l’auteur, nous n'en sommes pas encore là en France, même si l'on peut observer les prémices d’une telle dégradation du débat public dans une partie de la sphère médiatique française – que l'auteur laisse pourtant en dehors de son analyse – ou chez certains responsables politiques. L’auteur note d’ailleurs que si, avec les réseaux sociaux, ceux qui parlent n’ont jamais été autant contredits, ceux qui écoutent n’ont jamais été aussi peu perméables à la contradiction.
Selon lui, ce mode de communication s’accompagne d’atteintes à l’État de droit, aux libertés publiques et aux droits fondamentaux, comme il le montre encore à propos du Brésil ou des États-Unis. Mais est-ce vraiment le cas de la France ? Est-ce parce qu’Emmanuel Macron a présenté certaines restrictions de libertés comme des extensions de ces mêmes libertés, ou minimisé voire contesté la réalité des violences policières, comme l’auteur l’explique dans un chapitre intitulé « L’État contre les droits », que ces mesures n’ont pas rencontré plus d’opposition ? On peut en douter, et se demander si l’auteur n’est pas ici victime d’un certain « logocentrisme ».
Il en va de même pour les atteintes à l’autre pilier de la démocratie représentative analysé dans l'ouvrage : la souveraineté du peuple. Lorsque le Président s’affranchit de la très large majorité qui s’est exprimée contre la réforme des retraites, en quoi le discours – certes parfois mensonger – qui l’a accompagnée, a-t-il réellement favorisé son adoption ?
L’hyperprésidentialisme d’Emmanuel Macron, son refus d’entendre tout autre avis que le sien et le fait que nos institutions le permettent — quitte à ouvrir ou aggraver une crise dont on ignore encore l’issue — ne sont-ils pas des explications suffisantes ?
Rien n’empêche toutefois de rappeler que doivent nous inquiéter toutes les situations où les gouvernants ne se sentent plus tenus de préserver les conditions d’un débat public de bonne qualité, et qu’il est légitime de militer pour que leur pratique en la matière redevienne un critère essentiel au moment de leur accorder nos voix.