Au musée Dobrée à Nantes, l’exposition « À cœurs ouverts » présente la symbolique du cœur à travers l’art et l’histoire, de l’imaginaire anatomique médiéval à l’œuvre de Christian Boltanski.
« Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ? » C’est avec ces mots tirés du Colloque sentimental de Paul Verlaine (1869) que commence l’exposition « À cœurs ouverts », présentée au musée Dobrée, à Nantes, du 17 octobre 2025 au 1er mars 2026. Faisant elle-même rebattre le cœur de l’établissement après plus de dix ans de travaux, cette première exposition temporaire depuis la réouverture au public en 2024 représente un renouveau pour le musée départemental d’art et d’histoire.
Ce parcours, imaginé par la conservatrice en cheffe Julie Pellegrin* et l’historien Yann Lignereux*, et mis en oeuvre par Marion Ploquin, est conçu comme une extension du parcours permanent du musée. Il emmène les visiteurs et visiteuses dans un « voyage sensible et érudit, mêlant art, histoire et culture populaire », se présentant comme le manifeste du projet à l’origine du musée dans sa version mise à jour.
Cette présentation illustre aussi la volonté du musée de concevoir des expositions fondées sur ses collections, en commençant par valoriser sa pièce maîtresse, le cardiotaphe, un réceptacle pour le cœur d’Anne de Bretagne. Volée en 2018, mais retrouvée après quelques jours, cette œuvre n’est pas présentée dans cette exposition pour des raisons de sécurité. Elle sert néanmoins de point de départ, afin d’explorer plus largement la thématique du cœur. La visite pouvant être prolongée par celle de la collection permanente, à laquelle le billet d’entrée donne également accès.
Ainsi, l’exposition « À cœurs ouverts » propose aux publics de s’interroger sur le cœur à travers un parcours muséographique s'étendant sur deux étages. Salle après salle, les visiteurs sont amenés à découvrir les multiples facettes du cœur : après une présentation du cœur dans sa dimension anatomique, le parcours explore le cœur comme un symbole de l’amour courtois, puis comme le centre des amours romantiques. Le cœur est ensuite envisagé en tant qu'emblème et dans ses dimensions sacrées et religieuses. Au terme de ce parcours, l’exposition ouvre une réflexion sur le cœur comme expression testamentaire et politique.
Anatomie d’un cœur
Le plus intime de tous les cœurs, le nôtre, est l’organe avec lequel se confond notre vie. C’est au rythme de ses pulsations que débute cette exposition. Trois témoignages audio, de Sabine, une cardiologue, et de Suzy et Gaëlle, deux femmes ayant reçu une greffe, nous racontent leurs liens avec cet organe. Suzy reçoit un nouveau cœur à 21 ans, après plusieurs années d’incertitude à son domicile. Pour Gaëlle, l’attente a duré plusieurs mois à l’hôpital avant que son greffon n’arrive.
Ce cœur nouveau, cœur d’un autre devenu le sien, il leur a fallu le découvrir l’accepter et lui faire place dans la vie quotidienne. Sabine raconte que ses patients fêtent deux anniversaires : celui de leur naissance et celui de leur greffe. Ce rituel et les témoignages placent leurs cœurs comme des personnages à part entière dans leur vie.
Avec beaucoup d’émotion, Suzy raconte sa deuxième greffe. Elle nous parle de la perte de son ancien organe qui lui a permis de vivre les trente dernières années, des tests médicaux très longs et lourds, mais surtout de la peur de mourir. La greffe est un succès, mais Suzi doit encore découvrir ce nouveau cœur et apprendre à vivre avec.
La mécanique du coeur
Comme symbole que l’on partage, que l’on brandit et que l’on revendique haut et fort, le cœur représente bien des choses. Courtois, on le dédie à une dame inatteignable : il représente un amour impossible en raison d’une différence de rang ou de mariages déjà arrangés. Cet amour répond souvent à des idéaux de piété, de fidélité, de courage. Romancé et mis en scène, notamment par William Shakespeare dans Roméo et Juliette, c'est un amour empli de nostalgie pour le temps révolu de la chevalerie. Le symbole du cœur bilobé est né de la poésie du XIIe siècle, le fin’amor.
L’image du cœur exprime depuis lors de multiples vertus, telles que la bonté (avoir du cœur), le courage (étymologiquement cœur-age), la piété (pureté du cœur) ou la concorde (de bon cœur). Mais il est aussi l’organe des péchés, de la vanité ou de l’envie : dans L’Envie, de Jacques Callot, on voit une allégorie de l’envie dévorer son propre cœur.
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[Jacques Callot, Les péchés capitaux : Invidia, 1621. © Musée Dobrée-Département de Loire-Atlantique.]
Du Sacré-Cœur au cœur solidaire
Les trois grandes religions monothéistes ont fondé une part de leur imaginaire sur le cœur. À la fois essentiel à la vie et inaccessible aux autres, il est le lieu privilégié de la relation personnelle avec Dieu. Le catholicisme s’est particulièrement emparé de ce symbole. Marguerite-Marie Alacoque, membre de l’ordre de la Visitation de la fin du XVIIe siècle, raconte ses visions de Jésus qui lui montre son cœur, un bilobe surmonté d’une flamme. Ce symbole va rapidement inonder l’espace symbolique dans l’Europe catholique.

[Cœur en or massif pour la statue du Sacré-Cœur de Saint-Donatien. © Diocèse de Nantes / Cl. H. Neveu-Dérotrie.]
Dans le même temps, le cœur représente la dévotion à Dieu. La statue tombale d’Antoinette de Fontette, datant du milieu du XVIe siècle et présentée au centre de cette section, montre une dame de la noblesse agenouillée avec son cœur dans ses mains, qui le présente comme une offrande au milieu de ce qui semble être une prière (voir l’image en tête de cet article).
À l'angle opposé de cette salle et contemporaine de cette statue, on voit Le Transi de René de Chalon : une statue à taille humaine, un corps mort, décharné, debout, qui brandit son cœur intact et le donne en testament.

[Moulage du Monument du cœur de René de Châlon. © Nicolas Leblanc / Département de la Meuse.]
La sculpture rappelle les inhumations séparées de l’organe et du corps des souverains. Le point de départ de cette exposition, le cardiotaphe d’Anne de Bretagne, a été créé pour cela : le corps de l’épouse de Charles VIII puis de Louis XII a été enterré dans la basilique Saint-Denis avec ceux des rois et reines de France, mais son cœur en a été séparé selon sa volonté, pour être acheminé dans son duché de Bretagne, dont elle a affirmé la souveraineté. Le cœur devient un objet politique.
Lors de la Révolution française, une véritable bataille symbolique se joue autour du cœur. Le Sacré-Cœur, ou le cœur bilobé surmonté d’une croix latine, devient l’emblème des royalistes et des Vendéens, défenseurs de la « vraie foi » et partisans du retour des Bourbons. En face, les républicains s’approprient à leur tour le symbole, ornant leurs cœurs bilobés de bonnets phrygiens. Deux siècles plus tard, le symbole est encore utilisé en politique et dans la société : de l’émoji aux débats présidentiels, il reste au centre de nos usages, et parfois fait date, puisque personne n’a « le monopole du cœur ».

[Gauche : scapulaire, insigne au Sacré- Cœur. Droite : ornement d’uniforme, bonnet phrygien. © L. Preud’homme / Musée Dobrée.]
Parlons à cœurs ouverts
La visite se clôt sur l’une des œuvres majeures de cette exposition : une installation de l’artiste plasticien Christian Boltanski, créée en 2005. Tout au long de la visite du second étage, un battement régulier habille l’espace sonore, invitant le public à en découvrir la source. Celle-ci se révèle dans une vaste salle plongée dans la pénombre, entièrement dédiée à l’œuvre. Là, une unique ampoule diffuse une lumière au rythme des pulsations enregistrées du cœur de l’artiste. Cette expérience, à la fois intime et immersive, place le visiteur face au pouls d’un autre, celui de Christian Boltanski, aujourd’hui disparu. Par cette installation contemporaine, l’équipe curatoriale déplace la réflexion vers des enjeux spirituels, vers la question de notre relation à la vie et à la mort, en convoquant une forme d’humanité universelle incarnée dans ce simple battement de cœur, commun à tout être vivant.

[Le Cœur, Christian Boltanski. © Adagp, Paris, 2025;© Cloé Beaugrand / Coll. Antoine de Galbert.]
En consacrant une surface aussi importante à une seule œuvre, le commissariat affirme sa volonté d’en faire un moment fort, emblématique du parcours. Ce parti pris prend en compte le risque que cette installation d’art contemporain, marquée par un flash et un son répétitif, laisse certains publics indifférents ou les pousse à ne pas s’attarder dans la salle. Comme pour mieux affirmer que l’histoire et le patrimoine artistique conservés par le musée déploient leur sens dans le présent, et que penser ce sens requiert un temps de pause, de réflexion.
Enfin, cette installation s’accompagne de la réactivation d’un projet d’Archives du cœur lancé en 2008 par Boltanski. Il proposait à chacun d’enregistrer les battements de son propre cœur pour les envoyer sur l’île de Teshima, au Japon, où l’artiste souhaitait réunir « tous les cœurs de l’humanité ». Dans cette continuité, le Musée Dobrée offre au public la possibilité d’enregistrer gratuitement son cœur, afin que ces sons rejoignent à leur tour les Archives de Teshima. C’est ainsi que s’achève l’exposition « À cœurs ouverts », sur un geste symbolique : le « don de son cœur ».
* Titouan Guihal, Noah Robert, Marine Sauvager et Léna Sourice.
Exposition « À cœurs ouverts »
Musée Dobrée, 1 place Jean V, Nantes
Du 17 octobre 2025 au 1 mars 2026, de 10h à 18h
Commissariat d’exposition : Julie Pellegrin, conservatrice en cheffe, directrice du musée Dobrée et de Grand Patrimoine de Loire-Atlantique, et Yann Lignereux, professeur d’histoire moderne à l’université de Nantes.
Muséographie : Marion Ploquin, cheffe de projet muséographique, Grand Patrimoine de Loire-Atlantique.