Une mise en scène dépouillée, par le défunt Pierre Audi, de la « Tosca » de Puccini.

Il y a des soirs où l’Opéra Bastille semble se concentrer sur un unique symbole, comme si tout l’édifice se résumait à un signe massif et irrévocable. Dans la Tosca mise en scène par le regretté Pierre Audi, ce signe est une croix gigantesque, dressée au centre du plateau, simple et implacable, autour de laquelle gravitent les corps, les voix, les destins. Reprise de la production créée il y a quelques saisons, Tosca revient ici dans une distribution somptueuse, avec un sens du tragique affûté et un dépouillement visuel qui met l’humain à nu.

Acte I — La passion sous surveillance

Le rideau se lève sur un espace sacré dont Audi ne veut pas faire une église réaliste mais plutôt un lieu mental, austère, quasi ascétique. L’action de Puccini s’y installe avec une clarté remarquable : Cavaradossi (Roberto Alagna) peint à même le plateau comme on peindrait sur une paroi antique ; Angelotti (Amin Ahangaran) surgit, traqué ; Tosca (Saioa Hernández) entre, jalouse et lumineuse, la voix déjà tendue par la passion qui la consume. Toujours juste et efficace, la direction d’Oksana Lyniv cisèle chaque tension : la pâte orchestrale reste translucide malgré la respiration nerveuse des cordes. Face à cette fosse très active, la voix de Tosca se projette avec une aisance souveraine. Quant à Scarpia (Alexey Markov), Audi le fait surgir non comme un fauve mais comme un clergyman autoritaire, silhouette sombre glissant à l’ombre de la croix. Immédiatement, la tension dramatique est là : le pouvoir politique se confond avec le sacré.

Acte II — Le rituel de la cruauté

Au second acte, la scénographie se resserre encore. Le bureau de Scarpia n’est qu’un espace nu, géométrique, que domine la croix, telle une menace physique — dispositif qui renforce la violence psychologique du texte : plus rien ne distrait du face-à-face entre la victime et son bourreau. La scène de torture, invisible, n’en est que plus atroce. La lecture d’Audi est nette : ici, l’Église et l’État ne sont pas seulement complices, ils sont un seul instrument de coercition, une même machine sacrée qui broie les individus. Dans cette mise en scène épurée, le Vissi d’arte prend une dimension presque liturgique. Tosca chante au pied de la croix, sa supplication, lancée non plus à Dieu, mais au néant d’un monde dominé par des hommes qui s’arrogent le droit de parler en son nom.

Acte III — L’aube des désillusions

Pour le dernier acte, la scénographie abandonne toute référence au Castel Sant’Angelo pour ne montrer qu’un plateau désertique, champ de poussière sous un ciel blême. Le monde est vide, la mort a déjà tout emporté. Chanté par Roberto Alagna, l’air E lucevan le stelle est un cri intime dans un espace immense. L’orchestre gagne en chaleur et en amplitude. Il enveloppe la voix sans l’écraser, révélant un Cavaradossi tour à tour héroïque, tendre et résigné. La scène du simulacre d’exécution prend alors un relief nouveau. Parce que le lieu est dépouillé de toute matérialité, l’illusion s’y brise avec une violence encore plus grande.

 

Tosca — Giacomo Puccini

Opéra Bastille du 23 novembre 2025 au 18 avril 2026

Mise en scène : Pierre Audi