David Van Reybrouck propose de s’appuyer sur une « Assemblée mondiale » lors des COP pour faire prévaloir les intérêts de la Terre.
L’essayiste belge David Van Reybrouck propose, dans un petit livret (70 pages), une refonte du système diplomatique international, pour recentrer celui-ci sur les intérêts de la planète.
Tout part d’une mappemonde lumineuse que l’auteur possédait, enfant. Eteinte, elle montrait la géographie colorée de la Terre, les océans, les continents avec leurs chaînes de montagnes et leurs fleuves. Allumée, les États apparaissaient, avec leurs frontières et leurs villes principales. Eteinte : la Terre ; allumée : le Monde. Comment ces deux réalités superposées sont-elles devenues si étrangères l’une à l’autre ?
« Quand on ne voit que le Monde, on en oublie la Terre […] la question se pose de savoir comment nous pouvons réattribuer à la Terre une place centrale. La Terre s’est déjà elle-même replacée au centre sans qu’on le lui demande […] Il ne peut y avoir de politique mondiale sans politique de la Terre, même si celle-ci n’en est qu’à ses balbutiements ». Pour l’auteur, il faut déterminer « comment réfléchir au monde si nous prenons de nouveau conscience que c’est bel et bien la Terre qui le porte ».
Une diplomatie historiquement centrée sur les États-nations
David Van Reybrouck se livre à une réflexion sur la nature de la diplomatie telle qu’elle a évolué au cours des siècles. Prenant pour exemple les solutions trouvées par les traités de Westphalie pour sortir des guerres des XVIe et XVIIe siècles, il constate que « quand tout paraît se bloquer, un nouvel acte commence qui crée une dynamique rafraîchissante. Des institutions peuvent se réinventer, surtout quand elles sont confrontées à des défis existentiels. Un nouveau rebondissement est toujours possible. Voilà de quoi nous donner espoir pour notre époque ».
L’auteur décrit les différentes phases du multilatéralisme, dont le système onusien, fondé sur la coopération entre États, est le dernier avatar. C’est dans ce système que s’inscrivent les négociations sur le climat. « La politique climatique internationale est l’héritière de quatre siècles d’histoire diplomatique […] La raison d’État, les intérêts bien compris de la politique mondiale anthropocentrique ont ainsi été ancrés au cœur de la toute jeune politique de la Terre à l’échelon planétaire. Les répercussions étaient inévitables » : des décisions trop tardives, trop timides, sous l’effet des divergences profondes des intérêts nationaux et de l’action déterminée des lobbies industriels.
L’auteur plaide donc pour une sortie de la conception traditionnelle fondée sur les relations entre États. « Nous nous sommes mis à croire qu’institutions internationales étaient synonymes de gouvernance mondiale » mais « la planète est plus qu’une somme de pays […] Nous devons concevoir d’urgence des stratégies diplomatiques qui ne soient pas uniquement fondées sur la souveraineté […] Une approche globale qui place les besoins fondamentaux du système terrestre au-dessus des besoins nationaux […] la "raison de Terre" » se substituant à la raison d’État.
Des études et sondages montrent qu’une « écrasante majorité de l’humanité » est préoccupée de la situation climatique et environnementale, souhaite plus d’actions de ses gouvernements, veut que les pays riches soutiennent les pays pauvres. Autrement dit, « Le fossé entre les attentes de l’humanité et les performances de la diplomatie est très profond ».
Pour une « Assemblée mondiale » garante de la « raison de Terre »
Pour trouver une voie de sortie, l’auteur se réfère à l’« Assemblée mondiale » d’octobre 2021, « une initiative du bas vers le haut sans mandat formel » mais soutenue par le Secrétaire général de l’ONU et le président de la COP 26, Alok Sharma. A son issue, a été adoptée une « déclaration de l’Assemblée mondiale des peuples pour un avenir durable de la planète », qui plaidait, notamment, pour le maintien de l’Accord de Paris sur le climat et donc ne s’inscrivait pas en contradiction avec les négociations climatiques, tout en cherchant à les dynamiser et à les transcender.
Laurence Tubiana, l’une des principales négociatrices de l’Accord de Paris, et Ana Toni, secrétaire d’État brésilienne chargée du changement climatique et hôte de la COP 30 de Belem, proposent, dans un essai d’octobre 2024, de formaliser l’Assemblée mondiale et de l’intégrer dans le processus de la négociation, en s'inspirant du modèle du Forum social mondial.
Pour David Van Reybrouk, nous nous trouvons à un « point de bascule » : « Tous les deux cents ans, la diplomatie a besoin d’une mise à jour […] Elle qui, pendant quatre cents ans, a été au service de l’État-nation, devra à l’avenir intervenir au nom de la Terre ».
Ce nouveau système, s’il paraît éloigné des modèles servant habituellement de référence, trouve une résonance dans des concepts culturels extra-européens cités par l’auteur : tianxia chinois (« tout sous le ciel »), Vasudhaiva Kutumbakam indien (« le monde est une seule famille »), unbutu africain (« je suis parce que nous sommes ») , etc. Quelques siècles après Copernic et Galilée, « il est temps […] de concevoir un nouveau modèle géocentrique – au sens non pas astronomique bien sûr, mais philosophique : une prise de conscience fondamentale qui place le système de la Terre au centre de nos pensées et de nos actions, et reconnaît la raison de Terre comme la pierre angulaire de la gouvernance mondiale ».
Voilà un projet porteur d’espoir et d’optimisme, qui s’appuie sur un véritable phénomène mondial de prise de conscience… mais force est de constater qu’il intervient en même temps qu’une offensive sans précédent et tous azimuts qui s’appuie non plus sur la « raison d’État » mais sur la « raison du plus fort », pour la recherche d’un profit immédiat, unilatéral et maximal, sans aucun souci des faits scientifiquement établis et de toute notion de droit, équité ou gouvernance.