Dans un texte bref et accessible, l'économiste Gabriel Zucman expose les fondements et les enjeux d’une taxe sur les grandes fortunes.
La taxe Zucman, proposée par l’économiste Gabriel Zucman, instituerait un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. De retour à l’Assemblée nationale, cette mesure a déclenché depuis quelques semaines une avalanche de critiques souvent infondées, émanant des défenseurs des grandes fortunes.
En une cinquantaine de pages, Zucman démonte ces arguments et met en lumière une profonde injustice fiscale : les milliardaires échappent largement à l’impôt sur le revenu. En effet, leurs patrimoines sont constitués d’actions d’entreprises qu’ils contrôlent, et leurs dividendes transitent par des sociétés holdings, bénéficiant ainsi d’une exonération de 95 %. Résultat : là où un actionnaire ordinaire doit s’acquitter d’un impôt forfaitaire (flat tax) de 30 % sur ses dividendes, un milliardaire n’en paie que 1,25 %. Cette exonération des holdings s’applique dans la plupart des pays – à l’exception notable des Etats-Unis.
Ainsi, les milliardaires ne versent aucun impôt significatif autre que celui acquitté par les entreprises qu’ils possèdent, ce qui pose un sérieux problème d’équité fiscale. Les ménages ordinaires, eux, paient leurs impôts avant de pouvoir épargner ; les ultra-riches non. Or, il est évidemment beaucoup plus facile d’accroître sa fortune lorsqu’on n’est pas imposé, ce qui conduit à un effet boule de neige : la richesse des 500 familles recensées par Challenges a augmenté de 10 % par an entre 1996 et 2024 (avant prise en compte de l’inflation) contre 4,5 % pour le patrimoine moyen. La fiscalité n’explique pas tout, mais elle y a puissamment contribué.
Le principe de l’impôt plancher
Il n’existe pas des dizaines de moyens de corriger cette inégalité. Puisque le revenu des milliardaires peut aisément être manipulé, le plus simple est de se baser sur leur patrimoine, plus aisément évaluable car composé majoritairement d’actions ou de parts de sociétés. Il s’agit alors de déterminer le taux minimal permettant d’aligner leur taux d’imposition effectif sur celui du reste de la population.
Le rendement moyen du patrimoine des milliardaires s’élève à à 6 % l’an. Une contribution incompressible de 2 % amputant ce rendement d’un tiers reviendrait, en moyenne, à un impôt sur le revenu de 33 %. Ajoutée à l’impôt sur les sociétés acquitté par les entreprises qu’ils détiennent, cette taxe porterait leur taux global de prélèvements obligatoires à environ 50 à 55 %, soit l’équivalent de celui d’un contribuable moyen. Le seuil de 100 millions d’euros correspond au niveau à partir duquel le système fiscal devient régressif, les contribuables moins riches s’acquittant déjà de montants significatifs d’impôt sur le revenu.
Des garde-fous contre l’évasion fiscale
L’impôt plancher proposé viserait donc à corriger cette distorsion et à neutraliser toutes les formes d’optimisation fiscale. Cette mesure pourrait s’accompagner d’une disposition contre l’exil fiscal, en supprimant la dispense d’imposition des non-résidents – à l’image des Etats-Unis, qui taxent leurs citoyens où qu’ils vivent. Le projet adopté par l’Assemblée nationale en février 2025 prévoyait ainsi que les contribuables concernés par l’impôt plancher resteraient soumis à cet impôt pendant 5 ans après leur départ, une durée qui pourrait encore être allongée.
La taxe mettrait également fin à la fiction du « bien professionnel », instaurée dans les années 1980 pour exonérer les grandes fortunes au nom de la protection de « l’outil de travail ». Dans la plupart des cas, elle ne jouerait qu’un rôle d’impôt minimum sur le revenu, les patrimoines visés générant des rendements supérieurs à 2 %. Les exceptions, comme les créateurs de « licornes » – ces start-up très valorisées mais pas encore profitables, resteraient rares.
Ces contribuables pourraient s’acquitter de l’impôt en cédant ou en transférant des actions à l’Etat, qui pourrait ensuite les revendre à des salariés de ces entreprises ou à des investisseurs français. Une légère dilution en résulterait, sans les priver du contrôle de leur société. De telles cessions se produisent d’ailleurs fréquemment indépendamment de tout impôt ; les créateurs de start-up vendent régulièrement des parts à des fonds d’investissement, et des entreprises à succès finissent par entrer en Bourse.
Même sans générer de revenus, cette richesse, aussi fluctuante soit-elle, confère à ses détenteurs un immense pouvoir – visible, par exemple, dans le contrôle qu’ils exercent sur de nombreux médias. Elle ne saurait donc être considérée comme virtuelle : elle ne l’est pas.
Clair, rigoureux et accessible, cet ouvrage apporte une contribution essentielle au débat fiscal. Il devrait permettre de relativiser les critiques hâtives qui ont parfois pu qualifier cette proposition d’idiotie, au profit d’un débat mieux informé.
 
        