Une interprétation séduisante de Puccini grâce à sa puissance musicale et malgré des choix visuels discutables.
Puccini magnifiquement servi à l’Opéra Bastille, où La Bohème séduit grâce à une distribution de premier plan et une direction d’orchestre inspirée. Si la mise en scène de Claus Guth, qui a voulu transposer l’action dans un univers spatial, a de quoi dérouter, l’interprétation musicale, elle, touche au sublime.
Dès les premières mesures, Domingo Hindoyan impose une lecture aussi riche que sensible de la partition. L’orchestre de l’Opéra de Paris brille par son homogénéité et sa capacité à mettre en valeur chaque détail de l’écriture puccinienne : les bois se parent d’une tendresse infinie, les cordes exhalent une mélancolie vibrante et les cuivres explosent sans jamais écraser les chanteurs. Hindoyan cisèle les contrastes grâce à un sens rare de la respiration, conférant à l’ensemble une urgence dramatique qui maintient le spectateur en haleine.
Avec son timbre franc et son lyrisme généreux, Charles Castronovo campe un Rodolfo lumineux. Son « Che gelida manina » touche le cœur par sa simplicité ardente. Nicole Car incarne Mimi, mélange d’éclat et de fragilité : le son est projeté, doublé d’un phrasé d’une infinie délicatesse. Andrea Carroll, en Musetta, impressionne par son aplomb et son élégance vocale, donnant à la célèbre valse tout son brio, sans jamais verser dans la caricature. Autour d’eux, Etienne Dupuis (Marcello), Alexandros Stavrakakis (Colline) et Xiaomeng Zhang (Schaunard) composent un cercle de camarades, tout en nuances et complicité musicale. Le chœur — qui, on le sent, a bénéficié d’une remarquable préparation — ajoute à l’ensemble couleur et vibration, en particulier dans les scènes de foule où la densité sonore n’empêche jamais la précision rythmique.
Plus problématique se révèle la scénographie. Claus Guth a installé ses bohèmes dans un vaisseau spatial en perdition, bien loin du Paris romantique du livret. Si la métaphore peut séduire intellectuellement — isolement, quête d’oxygène, fuite dans les étoiles —, elle engonce l’action dans un cadre trop rigide, stérilisant. La froideur visuelle, malgré quelques belles images, enlève au drame sa spontanéité et son intimité. Les gestes scéniques, contraints par l’espace confiné du décor, ne laissent guère de place à la légèreté et à l’élan vital qui devraient pourtant être au cœur de l’opéra. La poésie du quotidien, le charme des petites misères et les grandes joies de la vie bohème se trouvent filtrés par un prisme conceptuel qui ne convainc pas. Là où Puccini nous invite à la chair et au frisson, Guth ne propose que distance et abstraction.
Mais c’est là tout le paradoxe : malgré ces réserves quant à la mise en scène, la puissance musicale de la soirée transcende les limites visuelles. On sort ébloui par la qualité des interprètes, par l’ardeur de Hindoyan, par l’émotion intacte que la musique parvient à faire surgir, en dépit de ce dispositif scénique qui n’aura pas plu à grand monde…