Ninon Blond aborde dans cet atlas les déserts sous de nombreux angles. En insistant sur leur pluralité, elle met en évidence la complexité et les mutations de ces environnements.

Normalienne et actuellement maîtresse de conférences à l’ENS de Lyon, Ninon Blond est lauréate du prix de thèse du CNFG (Comité National Français de Géographie) en 2020 pour ses travaux sur « Dynamiques sédimentaires holocènes et terrasses agricoles dans les montagnes du Tigray oriental (Ethiopie) : évolutions, trajectoires et fonctionnement d’un paysage palimpseste depuis 8 500 ans », en 2019. Son Atlas des déserts aborde avec une grande richesse la pluralité des environnements désertiques, et la cartographie d’Aurélie Boissière, collaboratrice régulière des éditions Autrement, est une réussite avec ses productions claires, variées et pour certaines originales.

Aux marges de l’écoumène

Quel rapport entre le Kalahari en Afrique australe, Oman au sud-est de la péninsule arabique, l’Arctique russe ou encore la Patagonie à l’extrémité du Cône Sud ? Le pluriel du titre n’est pas uniquement formel : Ninon Blond ouvre la réflexion en soulignant « l’impossible définition » des déserts, et propose même une typologie très complète de ces espaces, qui combine le degré d’aridité, les températures, et les facteurs de formation (désert d’abri, désert côtier, désert continental et désert de hautes pressions). L’autrice rappelle également que les déserts s’inscrivent dans une histoire environnementale qui se pense sur des temporalités longues, comme en témoigne la lente évolution du Sahara depuis l’Holocène. Le plus grand désert du monde est finalement un désert plutôt « jeune » gagné par l’aridité au cours des 5000 dernières années, comparativement au désert d’Atacama en Amérique du Sud dont les géologues datent la formation autour de 150 millions d’années.

Derrière l’immense diversité des espaces désignés comme des « déserts » se cache une caractéristique commune, qui joue un rôle fondamental aussi bien dans leur définition que dans leur fonctionnement. Il s’agit de l’aridité, déjà soulignée par le géographe français Jean Demangeot, dont les Milieux « naturels » du globe continuent de faire référence en géographie physique, et définie par Théodore Monod comme un « déséquilibre » entre « évaporation et précipitations ». Désignant un manque d’eau non pas temporaire comme dans le cas des sécheresses, mais inscrit de façon durable dans les caractéristiques climatiques, l’aridité avec tous ses gradients, du sub-humide jusqu’à l’hyperaride, façonne le rapport des sociétés à ces environnements si spécifiques. Ainsi compris, les déserts représentent entre 20 et près de 40 % des terres émergées.

L’eau est indispensable à la vie des plantes comme des animaux, et par conséquent la faiblesse des ressources hydriques impose des conditions extrêmes qui conditionnent la végétation et les paysages, puis limitent de facto la pratique de l’agriculture et le peuplement des déserts. L’eau, quoique rare, est présente sous différentes formes : bassins endoréiques, oueds à l’écoulement intermittent, précipitations parfois violentes, aquifères pour partie anciennement constitués et dits « fossiles », fleuves allogènes comme le Nil, le Tigre ou l’Euphrate qui prennent leur source dans des régions plus arrosées avant de traverser des zones arides. Sa mobilisation par les sociétés est un enjeu majeur, qui a débouché sur la mise en place de stratégies anciennes ingénieuses tels que les galeries drainantes (foggaras sahariennes ou qanats perses) qui acheminent en surface l’eau prélevée dans un aquifère, ou encore les oasis, des systèmes d’agriculture irriguée qui favorisent le maintien de l’humidité et l’exploitation optimale d’une ressource rare. La mobilité est aussi un mécanisme adaptatif commun à de nombreuses populations du désert dans leurs modes de vie « traditionnels », souvent associé à un élevage nomade ou semi-nomade, tel que pratiqué par les Peuls au Sahel ou les Nenetses du nord-ouest russe. Aujourd’hui, confrontées à de nouveaux enjeux environnementaux et démographiques, parfois concurrencées par d’autres logiques d’exploitation, ces formes de mise en valeur connaissent de profondes transformations.

Des déserts en profonde mutation

Loin des clichés et des représentations uniformisantes, les déserts connaissent en effet des bouleversements rapides sous l’effet de différentes logiques. L’habiter se transforme ainsi sous l’effet de l’urbanisation. Si les grandes villes sont rares au sein des milieux hyperarides, elles se multiplient et grandissent dans les milieux secs dans leur ensemble. Plus ou moins ancienne, cette « urbanité » désertique est forcément contrainte, et nécessite des adaptations, depuis les modèles architecturaux qui préservent traditionnellement la fraîcheur sur les marges sahariennes, jusqu’au recours massif à la climatisation et au dessalement d’eau de mer dans les villes du golfe arabo-persique. Loin d’être évités comme le rappellent les grandes routes caravanières sahariennes, les déserts sont également de plus en plus traversés. Alors que les itinéraires transsahariens sont investis par les migrants et les flux de la mondialisation grise, le vaste projet chinois OBOR développe massivement les infrastructures au cœur des déserts d’Asie centrale en mobilisant l’image des anciennes « routes de la soie » dont elles reprennent certaines étapes comme Samarcande en Ouzbékistan. 

Ces transformations sont très souvent liées à l’exploitation accrue des ressources désertiques. Les ressources en eau font l’objet d’une valorisation accrue, ce qui les met sous pression surtout lorsqu’elles sont non renouvelables (aquifères libyens alimentation la « grande rivière souterraine ») ou surexploitées (aquifère d’Ogalalla aux États-Unis). Les hydrocarbures sont particulièrement convoités : essentiels au développement économique des pays riverains du golfe arabo-persique, ils sont aussi de plus en plus exploités en Arctique. Enfin, la mise en tourisme des déserts, plus récente, connaît également un développement rapide, et concerne aussi bien les déserts chauds que froids. Le désert d’Atacama, par exemple, subit les pressions cumulées de l’exploitation minière et du développement du tourisme. Si l’importance économique renforcée des déserts leur confère une importance stratégique croissante, liée à des enjeux de contrôle, elle soulève également de nombreuses questions sur le plan environnemental. 

Les déserts et l’Anthropocène

Cet investissement accru se traduit par des pressions croissantes sur des environnements fragiles, puis des ressources en eau de plus en plus rares et disputées. L’essor de l’agriculture irriguée intensive déséquilibre certaines régions comme les abords de la vallée du Nil, voire débouchent sur de graves crises environnementales comme autour de la mer d’Aral victime de la surexploitation.

Les questions environnementales sont de plus en plus vives dans le contexte des changements globaux, qui s’incarnent dans des changements environnementaux sans précédent. L’augmentation de l’occurrence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes comme les sécheresses a des conséquences critiques, comme dans le cas de la Corne de l’Afrique qui traverse une crise humanitaire majeure où les facteurs environnementaux et (géo)politiques s’entremêlent. Le changement climatique voit aussi progresser la désertification, un processus complexe, en interrelation avec de nombreux autres phénomènes (aridification, érosion, surpâturage par exemple). D’ici 2100, selon les hypothèses pessimistes du GIEC, « les écosystèmes secs pourraient gagner 23% de surface, 80% de cette augmentation ayant lieu dans les pays en développement », ce qui pose avec acuité la question de la sécurité alimentaire dans les pays les plus vulnérables encore en forte croissance démographique.

 

Face à ces pressions, des périmètres et des mécanismes de protection se développent, permettant l’élaboration de compromis, mais pouvant aussi localement faire l’objet de conflits entre acteurs aux intérêts divergents, ou encore recouvrir des intérêts géopolitiques comme dans le cas de l’Antarctique. Les déserts permettent ainsi, via un certain décentrement du regard, de questionner en profondeur les relations entre les sociétés et les milieux qui les entourent, et qu’elles contribuent à façonner dans le cadre de l’Anthropocène.