La députée place les services publics au cœur d’un projet destiné à rassembler la gauche face aux crises écologiques, sociales et démocratiques.

Les services publics, en grande passion française, structurent notre pays, nos vies, nos territoires. Ils tracent aussi une ligne de fracture politique : ici vus comme un levier d’émancipation collective, là comme une source intarissable de dépenses. De même que les députés de l’Ancien Régime se plaçaient à gauche ou à droite en fonction de leur adhésion au pouvoir royal, le regard que l’on pose sur les services publics dit aujourd’hui l’espace politique que l’on occupe.

Le sujet des services publics, récurrent sur les plateaux télé, est bien plus rare sur nos étagères. Ce désamour apparent des politiques pour ce morceau de nous-mêmes interroge. La tendance pourrait pourtant s’inverser : c’est en tout cas l’impression que donne Lavenir, cest lesprit public, le dernier essai de Clémentine Autain, députée Nouveau Front Populaire de Seine-Saint-Denis. En assumant de parler de «  l’esprit public  » plutôt que de «  service public  », elle écarte d’emblée les analyses qui s’épuisent sur la question des moyens. Son objectif ? Renouveler la pensée de la gauche et des écologistes et proposer un sens qui rompe avec la fausse-promesse consumériste.

À l’heure où le trumpisme fait des petits et où les grandes fortunes investissent massivement le champ politique, elle revitalise la notion d’«  esprit public  » pour en faire un mot d’ordre général et esquisser les contours d’un nouveau contrat social à la mesure des urgences : une République des besoins.

Une défaillance qui fait système

La députée commence la plume amère. Les services publics ont été construits comme vecteurs et garants de la promesse républicaine ? Comme les garants de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ? Un gouffre s’est creusé, au pied d’une montagne de promesses. Clémentine Autain s’attache ainsi à montrer comment cette promesse s’est abimée au fil des années et des privatisations. Un peu comme s’est écaillée la ponctualité des trains :

«  Adolescente, quand je prenais le train, je regardais les aiguilles de ma montre pour vérifier que le conducteur démarrait bien à la minute prévue. C’était invariablement le cas, ce qui mapparaissait à la fois rassurant et fascinant. (…) Je me disais quavec la SNCF, on savait quand on partait et quand on arrivait.  »

Son récit, porté par une forme fragmentaire, alterne entre analyses poussées, retours historiques, anecdotes personnelles et d’élue, témoignages, extraits de romans. Tous les sujets y passent : des urgences hospitalières à Météo France en passant par les Ehpad et la formation des policiers aux violences sexuelles, la députée tire le fil d’un État démissionnaire pour montrer que la défaillance fait système.

«  [La parenthèse libérale ouverte en 1983] ne sest toujours pas refermée. Cest comme si lesprit public avait été chassé à coups de fusil. […] En quelques décennies, cest toute une conception de l’État stratège et des « services publics à la française  » qui part en fumée.  »

Sans s’arrêter à ce qui ne fonctionne pas, Clémentine Autain cherche partout les raisons du mal : explorant l’idéologie derrière les attaques contre l’impôt ou les fonctionnaires, s’attaquant au New Public Management et à la fable d’un «  capitalisme vert  », elle dissèque la longue chaîne de responsabilité qui a sabordé l’esprit public. En ramenant en permanence ces choix politiques à leurs conséquences humaines, elle montre que les services publics ne sont pas des objets neutres. Lorsqu’ils font défaut, ils construisent un miroir inversé de la promesse républicaine : une société de la cruauté. Parce qu’en matière de dignité et d’égalité, ce qui ne marche pas, marche à l’envers. C’est ce que la députée nous raconte, plongeant dans les plis d’une «  société malade du nous  ».

Le sens de la démarchandisation de nos vies

Pour répondre à cette «  rage  », lui donner du sens et la transformer en espoir collectif, la députée tranche dans les catégories habituelles.

«  L’esprit public que je défends ne concerne pas seulement la sphère publique, et notamment ses services. Il a vocation à irriguer la société tout entière pour faire gagner du terrain aux communs, pour que les institutions, les systèmes de protection, les associations et les entreprises puissent, loin de la quête de rentabilité et du parti pris lucratif, servir l’émancipation humaine.  »

C’est ce pas chassé qui doit constituer le point saillant de la proposition de Clémentine Autain : en privilégiant l’expression d’«  esprit public  », elle assume la rupture avec une pensée étatiste longtemps dominante dans les rangs de la gauche – comme elle fut largement productiviste avant de se rallier au logiciel écologiste. La députée pointe ainsi l’importance de ne pas se satisfaire de l’État comme seul opérateur. Se plaçant notamment dans les pas du juriste Léon Duguit (1859-1928), elle écrit que «  le service public déborde le secteur public  ». Ce faisant, elle ne se satisfait pas de la seule défense des services publics mais élargit l’horizon de son projet, redonnant au mot «  public  » son sens premier, étymologique : la démarchandisation de nos vies.

Tirant le fil de l’histoire, revenant à son origine antique puis révolutionnaire, la députée montre comment le «  public  » renvoie à «  ce qui nest possédé par personne et se trouve placé hors commerce  ». Elle raconte que la «  chose publique  » est, à l’origine, le souci «  dempêcher un monde marchand de prendre en charge la satisfaction de nos besoins  ». Et si la République des besoins n’était pas une utopie, mais un pléonasme ? S’érigeant contre la vision anglo-saxonne d’un État prestataire de services, Clémentine Autain défend donc un esprit public qui irrigue l’ensemble de la société, apportant un souffle qui n’est pas sans rappeler le plaidoyer en 1995 de Pierre Bourdieu pour une «  civilisation du service public  ».

Clémentine Autain appelle ainsi à ne pas céder à une forme de «  mélancolie de gauche  » – un conservatisme qui «  surjoue la radicalité et protège l’existant sans saisir l’air du temps, ni réenchanter sa vision  ». Plaidant pour de nouveaux communs (elle cite par exemple la «  Sécurité Sociale de l’Alimentation  » et un «  Service public de la durabilité  »), elle montre que l’esprit public est le chemin pour un État réellement stratège, organisé autour des besoins de la population et ouvert sur celle-ci. La sphère publique devient, dans ses lignes, «  ce monde commun qui nous rassemble et pourtant nous empêche de tomber les uns sur les autres  » (Hannah Arendt).

Un «  déjà-là révolutionnaire  » ?

Face à une macronie en déclin et une extrême-droite qui se voit conquérante, l’essai de Clémentine Autain espère nourrir intellectuellement et stratégiquement le camp de la gauche et des écologistes. Afin de rompre avec la position défensive des dernières années, elle propose une lecture du monde qui sorte de l’ornière marchande pour réactiver la satisfaction des besoins nécessaires.

L’esprit public en appelle à l’attachement des Français à quelque chose qui les dépasse - et les élève. Tandis que le RN mise sur la peur et le repli, Clémentine Autain réactive un imaginaire de l’égalité, qui relie plutôt qu’il n’exclut. L'esprit public est ce monde que nous avons en partage : c’est donc à travers lui que Clémentine Autain voit se dessiner une société respectueuse des êtres et de la nature. C’est à cette aune qu’il faut lire la belle phrase de Paul Éluard mise en exergue : « Il y a assurément un autre monde, mais il est dans celui-ci. ».