Ouvrage passionnant, « Le martyre de Georges Mandel » permet de reconstituer le quotidien de Georges Mandel de son éviction du gouvernement en juin 1940 à son assassinat par la Milice en juillet 1944.

À peine l’armistice de juin 1940 conclut, les anciens dirigeants de la Troisième République sont visés par le nouveau régime de Vichy, mais aussi par l’occupant. Parmi eux, Léon Blum, Édouard Daladier, mais aussi Georges Mandel en sont les cibles privilégiées. Ce dernier est sans doute le moins connu de ces trois figures de la politique de la Troisième République. Jeune journaliste, il devient collaborateur de Georges Clemenceau puis un de ses attachés de cabinet en 1908. En novembre 1917, il rejoint le nouveau président du Conseil comme chef de son cabinet civil et y aura la charge des dossiers les plus sensibles, notamment les relations avec le Parlement, la censure ou encore le lien avec les préfectures.

Un homme fort de la Troisième République

Après des échecs aux législatives de 1910 et 1914, Georges Mandel se présente en novembre 1919 en Gironde dans la circonscription de Lesparre dans le Médoc. Élu comme modéré profitant de la vague bleu horizon, il demeure député sans discontinuité jusqu’en novembre 1941, sauf entre 1924 et 1928 où il est une des victimes du cartel des gauches, coalition électorale victorieuse empêchant la réélection de plusieurs figures de la droite française. Outre ce mandat, la commune de Soulac le choisit comme maire et le conseil général de Gironde comme président en 1919. Une carrière politique au niveau national s’ouvre à lui en novembre 1934 avec un premier portefeuille ministériel aux Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT). Bien que considéré comme subalterne, ce poste est stratégique, notamment en temps de guerre. De 1934 à 1936, il va réformer en profondeur cette administration tant d’un point de vue technique que dans sa gestion administrative. 

Devant le danger que constitue pour lui l’Allemagne nazie, Georges Mandel ne cesse d’alerter ses collègues sur la question du réarmement et les visées expansionnistes du Reich. Il s’oppose avec fermeté au service militaire obligatoire rétabli par Adolf Hitler en mars 1935, mais également à l’envahissement de l’Éthiopie par l’Italie mussolinienne, en octobre 1935, contre notamment l’avis du président du Conseil Pierre Laval. Opposé au Front populaire dont il critique les réformes sociales compte tenu de la nécessité de réarmer la France devant la menace nazie, il devient ministre des Colonies d’avril 1938 à mai 1940. Devant un conflit qu’il juge inévitable, il s’emploie à préparer l’empire colonial français tout en protestant contre les accords de Munich. Lors du remaniement du 18 mai 1940, le président du Conseil, Paul Reynaud, le désigne ministre de l’Intérieur pour faire face à la débâcle qui s’annonce depuis l’offensive allemande débutée le 10 mai.

Georges Mandel tente d’endiguer la désorganisation générale causée par l’afflux de réfugiés sur les routes qui entrave le mouvement des troupes. Il essaie également de s’attaquer aux défaitistes de l’arrière. Il fait ainsi arrêter plusieurs intellectuels et journalistes d’extrême droite, admirateurs de l’Allemagne nazie comme les rédacteurs de Je suis Partout, Alain Laubreaux et Charles Lesca.

Profondément anglophile, il essaie de poursuivre la lutte en suggérant l’idée d’un « réduit breton », puis d’un repli des forces françaises vers l’Afrique du Nord. Au sein d’un conseil qui penche dans sa majorité pour un armistice, il ne peut toutefois contrer l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain le 16 juin 1940. Georges Mandel est bien évidemment évincé du nouveau gouvernement et redevient simple député où il ne cesse de promouvoir l’idée que la poursuite des combats est possible dans l’empire et que les pouvoirs publics doivent s’y installer. À ce titre, il est sans nul doute, au même titre que le général de Gaulle, un des tous premiers résistants.

Si la vie de Georges Mandel est aujourd’hui bien connue au travers des nombreuses biographies qui lui ont été consacrées   , sa toute fin l’est tout autant s’agissant notamment des interrogations qu’elle pose   . Les dernières années de sa vie le sont nettement moins et c’est tout l’intérêt de ce livre. L'auteur, Antoine Mordacq, commissaire de police, a également récemment présenté et annoté Le ministère Clemenceau du général Henri Mordacq   . Ces dernières années sont aussi l'objet d’un article de Christophe Lastécouères tout juste publié   .

 

Un esprit de résistance malmené par l’État français

Le drame semble se jouer dans la soirée du 16 juin 1940 où Paul Reynaud annonce sa démission de la présidence du Conseil. Lorsque Georges Mandel rentre à la préfecture de Bordeaux où ont été installés les locaux du ministère de l’Intérieur replié, des gendarmes lui intiment l’ordre de ne pas quitter les lieux. Cela n’empêche pas pourtant la visite du général Spears, représentant de Churchill en France, qui tente de le convaincre de le suivre à Londres à l’instar du général de Gaulle. Georges Mandel s’y refuse. Le 17 juin, il transmet le ministère de l’Intérieur à Charles Pomaret avant de s’installer avec sa compagne Béatrice Bretty et sa fille Claude à l’hôtel Royal Gascogne à quelques encablures. À midi, alors qu’il déjeune au restaurant Le Chapon Fin, il est arrêté par les gendarmes pour « menées contraires à l’ordre public » à la suite d’une machination orchestrée par l’extrême droite et le sous-secrétaire à la présidence du Conseil Raphaël Alibert qui exècrent le « Juif » Mandel.

La nouvelle de son arrestation se répand en ville, provoquant les protestations des présidents des deux chambres et du président de la République. En le recevant, Pétain ira même jusqu’à présenter ses excuses à Georges Mandel. Les 18 et 19 juin 1940, l’hypothèse d’un repli du gouvernement vers l’Afrique du Nord est de nouveau avancée en passant par Perpignan. Pour les parlementaires, un paquebot, le Massalia, qui partirait de Bordeaux, est prévu. Finalement, seuls 26 députés, dont Georges Mandel et un sénateur, ont rallié le navire qui part le 21 juin en direction du Maroc. Les autres indécis sont demeurés en métropole avec le gouvernement.

Le 22 juin, la nouvelle de la signature de l’armistice tombe à bord, les passagers oscillant entre stupeur et désir de continuer la lutte. Après avoir accosté à Casablanca, Georges Mandel se rend avec Édouard Daladier à la résidence générale à Rabat pour se renseigner sur la situation. Il prend l’initiative de rencontrer le consul général de Grande-Bretagne pour lui indiquer que ces 27 parlementaires souhaitent poursuivre le combat depuis l’empire. Le gouvernement anglais envoie immédiatement son ministre de l’Information à Rabat pour les convaincre de constituer un gouvernement français de résistance depuis l’Afrique du Nord. Il est intercepté par le représentant du résident général lui enjoignant de ne prendre aucun contact avec les parlementaires présents à bord du Massalia.

Le 27 juin, ces derniers peuvent quitter le navire à l’exception de Georges Mandel, détenu illégalement. Ce dernier perd définitivement sa liberté d’aller et venir, puis est placé en résidence surveillée en Afrique du Nord. Il est envoyé à Ifrane, station montagneuse de l’Atlas située à 1600 mètres d’altitude. Il n’y reste que peu de temps compte tenu de son état de santé et obtient de rejoindre les autres parlementaires du Massalia qui ont quitté Casablanca pour Alger. Ses moindres faits et gestes font l’objet de comptes rendus quotidiens. En dépit de leur souhait de rentrer en France au plus vite, ce sénateur et ces députés ne sont pas entendus et ne prennent ainsi pas part à la session parlementaire du 10 juillet à Vichy, où les pleins pouvoirs sont accordés à Pétain. Ils reçoivent le 17 juillet l’autorisation de rentrer en métropole à l’exception de Georges Mandel.

Des geôles de Vichy à la déportation

Une information pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État est ouverte à son encontre par le Tribunal de Meknès. En dépit des pressions, le juge d’instruction militaire rend une ordonnance de non-lieu. Le commissaire du gouvernement effectue immédiatement un recours contre cette décision devant le tribunal militaire de cassation d’Alger. Finalement, Vichy fait le choix de saisir la nouvelle Cour suprême de justice. Cette juridiction d’exception plus connue sous le nom de Cour de Riom est chargée « de juger les ministres et les anciens ministres qui ont trahi les devoirs de leurs charges ». Dans le même temps, Georges Mandel est rapatrié en métropole et interné administrativement dans les geôles de Vichy à Chazeron (Puy-de-Dôme) dans un vieux château délabré. Il est ensuite transféré à la mi-novembre 1940 à Pellevoisin (Indre) où il retrouve des dirigeants socialistes qui ont pour la plupart voté contre l’octroi des pleins pouvoirs à Pétain. Au début de l’année 1941, il est de nouveau transféré à Vals-les-Bains en Ardèche en compagnie de Paul Reynaud avant que d’autres personnalités ne viennent les rejoindre. Les échanges entre Georges Mandel et ses geôliers sont particulièrement truculents.

En dépit de multiples expertises, notamment financières, l’instruction menée par la Cour suprême de justice piétine. Cela n’empêche pas les collaborationnistes de se déchainer dans la presse à l’encontre du « Juif Mandel » et de prendre possession de son appartement parisien. Devant l’échec du procès de Riom et des poursuites à l’égard de Georges Mandel ainsi que devant une pression de plus en plus importante de l’occupant, Pétain le condamne avec Paul Reynaud à une détention dans une enceinte fortifiée. Il est alors enfermé au fort du Portalet de novembre 1941 à novembre 1942. Ces douze mois, particulièrement décrits dans l'ouvrage, sont extrêmement rudes pour Georges Mandel. Des projets d’évasion sont même fomentés, mais jamais mis en œuvre.

L’envahissement de la zone libre par les troupes allemandes le 11 novembre 1942 modifie la situation des deux prisonniers honnis des Allemands pour avoir voulu poursuivre la lutte avec les Anglais en 1940. En dépit de multiples sollicitations au gouvernement de Vichy, ils sont livrés aux troupes d’occupation et transférés en Allemagne. Leurs proches et leurs avocats sont inquiétés. Après un détour par Berlin, ils sont placés en détention comme prisonniers d’honneur au camp de Sachsenhausen. Ils ne bénéficient pas pour autant d’un régime de faveur, étant placés à l’isolement. Si Paul Reynaud y demeure, Georges Mandel rejoint le camp de Buchenwald où il retrouve Léon Blum, juif comme lui. Il y demeure jusqu’en juin 1944. Son quotidien dans ces deux lieux de détention est une nouvelle fois particulièrement bien documenté.

Georges Mandel est livré par les Allemands au gouvernement de Vichy au début juillet 1944. Dans un climat qui lui est particulièrement hostile à la suite de l’assassinat du secrétaire d’État à l’information et à la propagande de Vichy Philippe Henriot par un groupe de résistants, il est confié à la Milice qui l’exécute le 7 juillet 1944 dans la forêt de Fontainebleau. Si personne n’est dupe sur cette exécution sommaire, les miliciens tentent de faire croire à une escarmouche avec des résistants au cours de laquelle Georges Mandel aurait été tué. Le déroulement de cet assassinat est détaillé, demeure toutefois l’inconnu des commanditaires. Un dernier chapitre y présente « les responsables ».

 

Cette synthèse particulièrement bien documentée et respectant les « codes » de la démarche historique n’en demeure pas moins facile à lire. Malgré des témoignages qui semblent parfois combler les lacunes des archives en leur octroyant une valeur historique identique, c'est un récit poignant aux apports indéniables.