Alima Hamel déclame le deuil de sa sœur assassinée par les islamistes et érige un tombeau poétique pour les victimes de la guerre civile algérienne des années 1990.

« Puis, le bruit de ta mort / Assassine la nuit / Le silence du sang jaune / Sœur / De l’enfant que tu nous laisses / Je serai la petite sœur / De l’obsession de ta mort / Je cueille la mienne / Jour après jour / Ta tombe n’est pas blanche / Je le regrette / Je n’y étais pas.  » Une élégie. Un tombeau. La sœur tant aimée, autrefois éloignée de force, n’est plus. Quelques souvenirs subsistent, des fragments de mémoire. La douleur catalyse de la joie de la poésie.

Elle s’appelait Dhour, la sœur aux yeux tendres, « sucrés ». Après sa disparition, une embuscade islamiste lui ôte la vie en Algérie (à Médéa) durant la guerre civile des années 1990, deux décennies de silence, et peut-être même d’oubli, mais l’histoire refait surface. Nulle échappatoire, il n’y a que les mots pour affronter la tragédie d’hier, ses prolongements aujourd’hui.

Dans son long poème intitulé Médéa mountains, l’artiste Alima Hamel arrache les mots à la douleur, convoque l’intimité et la singularité de son histoire franco-algérienne pour dire l’universel : la résistance à la guerre et au labyrinthe de ses traumatismes, à l’oubli et à l’impunité. Replongeant dans les moments houleux de la « décennie noire », elle ressuscite l’histoire des terres silencieuses du sud algérien, de ses montagnes abruptes et inhospitalières, la simplicité du village natal de ses parents. Ses mots affutés découpent dans l’espace de l’inconcevable une mémoire pour la paix, l’espoir.

Dans ses pages électrisantes, le livre plonge le lecteur au cœur de l’histoire des oubliés, une famille de prolétaires algériens installée en France après l’indépendance en 1962. Souad, Camélia, Fériel, Dhour et Alima, c’est l’épopée de cinq sœurs, quatre nées à Médéa, la dernière à Nantes. L’état civil nantais la prive du H initial du prénom « Halima », celui de sa grand-mère. N’ayant connu que la France, l’attachement de leurs parents conservateurs aux « traditions » va éparpiller leurs destins entre les deux rives de la Méditerranée. De ces cinq sœurs, seules Fériel et Alima échappent à ce « retour » forcé « aux origines ».

Cette déchirure, c’est un certain souffle poétique qui la met en mouvement, la raconte. Dans les mots simples d’un été précaire de Médéa. On voit l’arrivée, les bagages déposés, la décision de la mère actée. Furtivement. Brutalement : « Alors que nous déposons nos valises dans le west ed-dar / et que nous plongeons dans les bras de nos tantes, / ma mère annonce que Souad et Camélia ne rentreront pas à Nantes. / Souad, Camélia, vous ne remettrez plus les pieds à Nantes. / Plus jamais. / Vous resterez à Médéa pour toujours.  » La violence sonne le glas. Une condamnation au silence.

En ce sens, la fresque familiale de la poétesse peut se lire comme un cri de sincérité, de libération des démons de la mémoire. D’abord chanteuse, la voix et la technicité de l’art musical d’Alima Hamel se reflète dans son écriture. Sans pathos, sans sensationnalisme, le corps dit sa fureur, arrache les mots à la sidération. L’attente fut longue, mais nécessaire. Après des années à parcourir les scènes de France et d’ailleurs, l’artiste revient à l’essentiel, à la nudité tragique des hauteurs de Médéa, à ses cimes brûlantes, à ses deuils, à ses années noires. Un retour à la maison désertée mêlant douceur et âpreté.

Une enfance intranquille, écartelée entre deux terres, un besoin de compréhension et de lucidité, Alima Hamel effectue le retour de la maturité dans Médéa mountains et autres textes, retrouve son passé algérien, ses sœurs, les parfums de l’innocence et des fragments d’arabe parsemant son recueil. C’est une chanson, une langue sobre chante la grandeur des existences incomplètes, invisibles à jamais.