Las du naturalisme à la fin de la série des « Rougon-Macquart », Zola se lance dans une trilogie romanesque, composée de « Lourdes », « Rome » et « Paris ».

En septembre 1891, Zola est dans les Pyrénées. Depuis quelque temps déjà, il s’avoue las de la série des Rougon-Macquart. Il ne lui reste que deux volumes à écrire : La Débâcle (1892) et Le Docteur Pascal (1893). Cherchant à échapper au système du naturalisme, qu’il a inventé mais qui le bride, il rêve d’une « peinture de la vérité plus large et plus complexe », et qui soit ancrée dans la réalité contemporaine, à la différence des Rougon-Macquart, qui le cantonnent dans l’époque révolue du Second Empire. Or, il va bientôt connaître une sorte de révélation née de son voyage.

Le renouvellement de l’inspiration

Il fait en effet une halte à Lourdes, et c’est un choc duquel va naître le renouvellement d’inspiration qu’il attendait. Aussitôt, il rédige le plan d’un roman sur le pèlerinage et la cité des miracles. Le spectacle de cette foule, dans laquelle se joignent le besoin de surnaturel et la misère physique comme sociale, continue de le hanter, alors qu’il pose la dernière pierre des Rougon-Macquart. Jacques Noiray, dans sa remarquable introduction, décrit bien ce contexte du naturalisme finissant, qualifié de « cloportisme » par Huysmans, en 1891, dans le premier chapitre de Là-bas, où l’ancien ami de Zola ne cache pas sa répugnance pour « un art si rampant et si plat ». Dans l’« Enquête sur l’évolution littéraire » menée la même année par Jules Huret, à la question : « Le naturalisme est-il malade ? », Anatole France répond : « Il me paraît de toute évidence qu’il est mort  ». Zola, pour sa part, esquisse dans la même enquête ce qui doit, selon lui, qualifier la littérature nouvelle : « L’avenir appartiendra à celui ou à ceux qui auront saisi l’âme de la société moderne, qui, se dégageant des théories trop rigoureuses, consentiront à une acceptation plus logique, plus attendrie de la vie. »

Pierre Froment, prêtre et personnage romanesque fécond

En septembre 1892, Zola a l’idée des Trois Villes, trilogie romanesque, dont le héros est un prêtre, Pierre Froment, en quête d’une religion nouvelle. Il tente en vain de retrouver à Lourdes la foi perdue, et en même temps doit faire face à la fin de la chaste idylle qu’il entretient avec Marie de Guersaint, paralysée à la suite d’une chute de cheval – la guérison « miraculeuse » de la jeune fille rendant cet amour impossible. Pierre, enfermé dans son état de prêtre, revient de Lourdes désespéré.

Lourdes, publié en 1894, est la peinture d’une cour des miracles moderne et sera mis à l’index. Zola décrit le pèlerinage de Pierre comme « un cadre dans lequel [il a] fait entrer Lourdes tout entier, avec sa vie, ses mœurs, son histoire, ses pratiques, ses cérémonies, enfin une monographie extrêmement complète. » Dans cette très riche édition, Jacques Noiray fait figurer, après le roman lui-même, la transcription de « Mon voyage à Lourdes », journal tenu par Zola lors de son voyage du 20 août au 1er septembre 1892, véritable reportage où s’illustrent toutes ses qualités d’observation.

Rome (1896) est le pendant idéologique de Lourdes, mettant en scène la question du renouvellement du catholicisme et le débat entre le rationalisme et l’esprit de foi, très vif en cette fin de XIXe siècle. Les intrigues vaticanes s’entrelacent avec l’histoire d’une passion sublime et dévorante, celle de Benedetta, la belle Romaine amoureuse de son cousin Dario mais qui, mariée à un homme à qui elle se refuse, ne rejoindra son amant que dans la mort. Dans une très habile mise en abyme, Pierre Froment est l’auteur de La Rome nouvelle, qu’il veut présenter au pape Léon XIII, qui désapprouvera le livre. Zola a longuement séjourné à Rome pour documenter son roman, mais il n’a pas rencontré le pape, seule figure historique de la trilogie. Le dossier préparatoire du roman fait 1600 pages. La méthode naturaliste de l’enquête a fait ses preuves et Zola la reprend avec succès.

Dans Paris (1898), enfin, Zola entend dépeindre les luttes sociales, politiques, idéologiques de l’époque, le socialisme, la crise anarchique et la corruption parlementaire – ce qui donne au livre l’aspect, nouveau dans son œuvre, d’un roman à clefs. Mais il veut montrer aussi la charité impuissante et le besoin d’une « religion nouvelle » destinée à remplacer le catholicisme caduc, qui sera celle de la science. En marge de l’aspect idéologique, Zola donne à lire le drame de la rivalité entre Pierre et son frère Guillaume, amoureux de la même femme, Marie : une Marie plus vivante, plus charnelle que la trop frêle Marie de Guersaint de Lourdes. L’expansion de l’utopie dans les deux derniers livres de Paris ouvre par ailleurs directement sur la série des Quatre Évangiles (Fécondité, Travail, Vérité et Justice), rédigés pour les trois premiers de 1898 à 1902, tandis que le quatrième restera inachevé du fait de la mort de Zola.

On retrouve bien au cœur des Trois Villes l’observation attentive des réalités sociales et l’intervention dans le combat idéologique chères à l’écrivain. Mais la trilogie témoigne d’une veine tout à fait nouvelle chez Zola : c’est le triomphe d’une imagination débridée, mêlant le réel et le symbole, et affranchie de la contrainte naturaliste. Cette édition donne à lire des transcriptions des manuscrits préparatoires, dont plusieurs sont inédites. Grâce à ses notices magistrales et à son travail passionnant d’annotation, Jacques Noiray, qui dédie son édition à la mémoire d’Henri Mitterand, fournit au lecteur un appareil critique très utile pour découvrir cette partie moins connue et moins étudiée de l’œuvre de Zola.