Sous la forme d'une fiction, Guillaume Hannezo, Hakim El Karoui et Thierry Pech envisagent les conséquences d'une arrivée au pouvoir du Rassemblement National.
L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France semble chaque jour plus plausible, et ce malgré la condamnation récente de Marine Le Pen à quatre ans de prison, dont deux ans ferme, et à cinq ans d'inéligibilité, avec application immédiate. Si cela compromet sa candidature à la présidentielle en 2027, son parti demeure puissant, d'autant qu'une partie du gouvernement et une grande partie des médias contribuent à légitimer son obsession sécuritaire et anti-immigration, tandis que l’opposition de gauche demeure profondément divisée.
À l’international, les prises de positions de D. Trump, J. D. Vance ou E. Musk sapent les principes d’État de droit, de démocratie représentative, de justice sociale ou encore de droit international, rendant encore plus difficile de réagir face à cette perspective.
Pourtant, il reste difficile d’anticiper ce que signifierait concrètement un gouvernement dirigé par le Rassemblement National. L’exemple de l’Italie, où Georgia Meloni gouverne à la tête d’une coalition de partis de droite et d’extrême droite, n’offre qu’un aperçu limité de ce qui pourrait advenir chez nous. D’autant plus que les médias, focalisés sur les jeux politiciens et les valeurs mises en avant par les uns et les autres, se soucient peu d’examiner la faisabilité des programmes et leurs implications réelles .
C’est précisément ce vide que vient combler Marine Le Pen Présidente. Dystopie politique 2026-29 (Les Petits Matins, 2025). Cet ouvrage se présente comme une fiction politique, mais il s’agit avant tout d’un exercice de prospective immédiate. Les auteurs, bien informés sur toutes ces questions, croisent les contraintes de la situation actuelle avec les mesures que le RN serait logiquement enclin à appliquer pour en examiner les conséquences probables.
Un projet politique fondé sur l’exclusion et l’austérité
L’un des ressorts du livre est son ancrage dans la réalité politique contemporaine. En mettant en scène un personnel politique bien connu, il permet au lecteur de se projeter plus facilement et d’imaginer les réactions des uns et des autres. Dès le début du mandat, le gouvernement engage des réformes emblématiques : suppression du droit du sol, restrictions drastiques de l’immigration, mise en place de la « préférence nationale » dans l’accès aux emplois, aux logements et aux prestations sociales. Pour y parvenir, une modification de la constitution est nécessaire, pour laquelle la présidente choisit d’emprunter la voie du référendum — en principe prohibé par la Constitution —, s’engageant ainsi dans un passage en force .
Mais la préférence nationale ne suffira pas à combler le déficit public. D’autres coupes budgétaires s’imposeront rapidement touchant les services publics non régaliens et les prestations sociales en général. Les fonctionnaires (de bureaux ?) seront parmi les premiers touchés. Faute de pouvoir améliorer le pouvoir d’achat, le gouvernement s’emploiera à démontrer qu’il cible avant tout dans ces économies tous ceux que ses électeurs n’aiment pas : les étrangers, les immigrés, les « bobos », les « cultureux » et les « cassos » (pour employer le vocabulaire des auteurs).
La privatisation de l’audiovisuel public ou la forte réduction de son budget et la suppression d’une large part des subventions à la culture et à la presse ne susciteront probablement que peu d’émotion dans l’opinion publique. L'indépendance de l'information et le respect du pluralisme en prendront toutefois un nouveau coup .
En revanche, l’intensification des politiques sécuritaires entraînera une augmentation des bavures policières (encouragée par la mise en place de la présomption de légitime défense des forces de polices et l'interdiction de filmer), le développement de milices privées, échappant bientôt à tout contrôle, et des violences en réaction. Ces événements, largement relayés à l’international, alimentent à la fois une baisse du tourisme et un sentiment d’insécurité croissant.
Une crise économique et politique inévitable
Très vite, l’économie pâtira du manque de main d’œuvre dans des secteurs historiquement dépendants de l’immigration, qui affectera également les services publics, entraînant un ralentissement de la croissance. Par ailleurs, la remise en cause de nombreuses mesures en faveur de la transition écologique et la multiplication des contentieux avec la Commission et la justice européennes isoleront davantage la France sur la scène internationale.
Déjà préoccupante en France, la corruption politique devrait encore s’aggraver, avec un régime misant sur l'affaiblissement des contre-pouvoirs.
Au fil des ans, les crises se succèdent : inflation, crise de l’eau dans une grande ville de l'Ouest, cyberattaque paralysant une grande banque… Mais c’est finalement la dette qui place le gouvernement face à un dilemme insoluble. Deux options s’offrent à lui et à la présidente : une sortie de l’euro avec un défaut de paiement entraînant un effondrement économique — dont l'ampleur reste incertaine —, ou une intégration accrue à l’Union europénne, avec une levée de dette commune, mais avec en contrepartie une gouvernance fédérale renforcée — soit tout ce que le RN rejette depuis des années.
Un premier éclairage utile sur un débat largement absent
Marine Le Pen Présidente ne prétend pas prédire l’avenir, mais propose un scénario plausible fondé sur une analyse rigoureuse des dynamiques politiques et économiques. Son principal intérêt réside dans sa capacité à articuler les intentions du RN avec les contraintes structurelles du pays, mettant en lumière les contradictions et les risques d’un tel projet. Cet exercice de politique-fiction, trop rare dans le débat public, invite à une réflexion nécessaire sur les choix politiques à venir et sur les conséquences d’un basculement qui pourrait devenir une réalité dès 2027.