Dans un ouvrage sous forme de questions/réponses, Stanislas Dehaene démystifie quelques neuro-mythes.
Les travaux de Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, sur la cognition numérique et la lecture sont bien connus. Dans Une idée dans la tête. 40 pépites réjouissantes sur le cerveau et l’apprentissage, il brosse le panorama des facultés intellectuelles de base que l’on apprend dès les petites classes (lire, parler, compter) pour finir sur des considérations métacognitives : apprendre à apprendre. L’auteur n’est pas avare de bons conseils, qu’il prodigue aux parents qui le liront mais aussi aux enseignants de l’Éducation nationale dont il a assure la présidence du Conseil scientifique.
La lecture
En tant que factulté intellectuelle, la lecture est l'un des moyens qui permet de doper les capacités de son cerveau : « Avec l’apprentissage de la lecture, la précision de la vision est augmentée. Apprendre à lire exige de reconnaître de tout petits caractères, parfois très semblables. Cet apprentissage améliore la définition du cortex visuel précoce, celui qui traite de toutes les images, et pas seulement celles des lettres. » En gros, « plus on lit, mieux on parvient à réaliser des tâches visuelles fines ». Suite au phénomène de « recyclage neuronal [par lequel] une partie des circuits existants se réoriente et se différencie afin d’acquérir de nouvelles capacités », une aire cérébrale se spécialise dans la reconnaissance des mots écrits que notre cerveau de lecteur parvient à faire « en moins d’un cinquième de seconde ».
Stanislas Dehaene a appelé ce petit bout de cortex, initialement dédié à la reconnaissance des objets et des visages mais ré-attribué à la reconnaissance des mots, « la boîte aux lettres du cerveau ». Les capacités de notre cerveau sont donc modifiés par la lecture, de mots comme de chiffres. L’auteur en conclut à bon droit qu’« une tête bien éduquée [c’est] un cerveau plus différencié, où les neurones ont appris des compétences plus diverses ».
Le calcul
Le calcul fait également l'objet d'une attention particulière. L'auteur nous apprend que le nouveau-né a un sens inné des nombres, ce qui en soi ne le distingue pas des autres animaux : « Par le biais du langage et des symboles, nous accédons aux mêmes connaissances que celles des singes, mais avec plus de précision. »
Dans ce pan de l’ouvrage, les lecteurs ne sont pas au bout de leurs surprises car ils découvriront l’effet SNARC, la métaphorisation de l’espace numérique, le gène ROBO1, etc. Alors que le recyclage neuronal bénéficie également aux mathématiques en mobilisant les circuits de l’espace et du nombre, la surefficience intellectuelle mathématique ne serait qu’une optimisation de ce phénomène cérébral. De tous ces propos érudits, il en ressort un constat frondeur : les capacités du cerveau humain domine encore à ce jour l’intelligence artificielle. « […] Notre cerveau n’apprend pas en accumulant des milliards de données empiriques, comme le fait l’intelligence artificielle actuelle. Non, il génère ses propres images de l’intérieur et possède un pouvoir d’abstraction qu’aucun ingénieur ne sait encore imiter. »
Quelques neuro-mythes
L'un des neuro-mythes tenaces veut que notre cerveau modulaire soit représenté par une bipartition en deux hémisphères, droite et gauche, qui auraient des propriétés immuables qui leur sont propres : l'hémisphère gauche serait le siège de la raison et de l’analyse, l'hémisphère droit celui de la créativité et de l’émotion. Stanislas Dehaene entend rétablir la verité : « La majorité de nos opérations mentales font appel aux deux hémisphères, avec une simple préférence pour l’un ou pour l’autre – mais surtout, cette répartition des fonctions… peut changer. »
De la même manière, d’autres neuro-mythes sont passés au crible : on n’utiliserait que 10 % de notre cerveau, les dyslexiques verraient les textes en miroir, le cerveau lirait un mot dans son ensemble sans prêter attention à l’ordre des lettres, le cerveau féminin ne serait pas équipé pour exceller en mathématiques — pour n'en citer que quelques uns.
Sur un ton didactique mâtiné d’élans poétiques (ainsi, par exemple, « Chacune de vos idées est une vague chimique qui ondule dans une forêt de neurones électriques »), l'auteur parvient à aborder tout ce qu'il y a à savoir sur le cerveau : des neurones aux synapses, en passant par les neurotransmetteurs, la loi de Hebb, la neuroplasiticité et son gène coordonateur FoxP2, le connectome…
Une idée dans la tête est un ouvrage synthétique qui offre au lecteur un aperçu général des connaissances contemporaines dont disposent les neurosciences, mais encore des conseils utiles pour un bon apprentissage des compétences fondamentales de notre existence (le repos, le savoir métacognitif et une meilleure gestion des écrans pour atténuer leur nocivité).