En une soixantaine de pages, cet essai fait le tour d’un concept majeur des nouvelles approches de l’analyse littéraire.
La petite collection « L’Opportune », des Presses universitaires Blaise Pascal, propose de faire le tour d’un sujet contemporain en 64 pages, pour 4,5 €. Une proposition pour démocratiser et rendre accessible la recherche en littératures et sciences humaines et sociales qui aborde des sujets très variés. Au rang des propositions, plusieurs opuscules sont consacrés à des concepts littéraires (L’uchronie, le Young adult…). Parmi elles, on trouve L’Écocritique, de l’angliciste Sophie Chiari.
La perspective anglo-saxonne de l'autrice n'est pas anodine puisque l'« écocritique », qui s'intéresse aux rapports entre l'environnement et la littérature, s’inscrit dans un courant des studies américaines. Les nombreux exemples tirés de la littérature anglo-saxonne, et notamment Shakespeare, dont Chiari est spécialiste, confirment cette perspective, quoique des apports de littérature francophone soient également intégrés.
En France, le concept d'« écocritique » est encore jeune et est d'ailleurs plus souvent traduit par « écopoétique ». Du fait de son caractère synthétique, l'ouvrage n'explore pas de manière approfondie la distinction fine entre les deux concepts, qui ne sont pas absolument synonymes. Alors que l’« écopoétique » se focalise sur la forme du récit et les analyses des procédés de mise en image, l'« écocritique » assume une approche ouvertement connectée au contenu, aux sciences sociales, à la réalité physique, voire au militantisme.
L'écocritique est née de la vision des grands espaces dans la littérature états-unienne, lesquels ont inspiré des propositions frontalement écologistes, comme les textes de London, ou bien des textes rêvant de la « Nouvelle frontière ». Pour autant, l’écocritique ne peut se réduire au nature writing ou à la description fantasmée de la nature. Elle est davantage conçue comme une clef de lecture de cette nature en littérature — qu'il s'agisse de littérature contemporaine ou des grands classiques. Dans un entretien passionnant, Sophie Chiari explique d’ailleurs être entrée dans ce concept en s'intéressant aux représentations de la nature dans de grands textes anglais, car elle trouvait « dommage de n’y voir que des clichés poétiques et de ne pas rechercher à quelle réalité concrète [ils] renvoient. ». Dans cette perspective élargie, l’écocritique s’étend à toutes les approches critiques de la nature et de l’environnement dans la littérature, du Londres pollué de fog de Dickens aux animal studies d’Isabelle Sorente ou encore à Jean-Baptiste Del Amo décrivant l’industrie de la viande dans les très contemporains 180 jours ou Règne animal.
Ainsi, l'écocritique s’est étendue d’une vision parfois romantisée de la nature, volontiers conservatrice, à des approches prenant en compte l’anthropocène et son impact. On y trouve alors des romans centrés sur des questions comme l’aménagement du territoire, avec Aurélien Bellanger, la profondeur des sols, avec Underland de Robert McFarlane, jusqu’à la pollution et aux déchets. Ces romans contemporains se trouvent liés par un même concept à Jules Vernes ou René Char.
Avec cette approche, la littérature peut même donner une voix aux non-humains (les animaux mais aussi les végétaux, voire les sols ou les minéraux) pour sortir d’une vision de la nature toujours pensée à partir de l’homme. Du récit de nature glorifiant le pêcheur face à la mer à celui qui plonge au sein d'un banc de poissons, il y a mille approches qui, toutes, peuvent se confronter dans une même grille de lecture.
Riche d’exemples, montrant les différentes évolutions de cette approche plurielle, le livre de Sophie Chiari propose donc un regard très englobant de la littérature (qui va du théâtre aux essais, et qu’on imagine bien s’étendre à la bande dessinée), qui ne vise pas à prêter aux auteurs des propos qu’ils n’auraient pas envisagés, mais à avoir l’audace de les lire avec un regard neuf porté par les connaissances et enjeux contemporains. Dans cette brève synthèse, Chiari offre une lecture particulièrement stimulante pour aborder les nombreuses références qu'elle cite et nous invite à explorer — et notamment les nombreux « récits » d’espoir ou de la dark ecology, longtemps présents en science-fiction et si souvent au cœur des discours aujourd’hui.