L’auteur de « L’Enfant éternel » (1997) propose une nouvelle variation, picturale et féerique, sur le deuil de sa fille, qui hante sa vie et son œuvre.

Le narrateur raconte l’histoire mystérieuse d’un peintre paysagiste new-yorkais nommé Eben Adams. Ses paysages sont vides, il sent le désespoir le gagner devant son manque de succès et il doute de lui et de sa peinture. Un soir de Noël, alors qu’il neige, une mystérieuse enfant lui apparaît à Central Park. Elle lui chante une chanson dont les paroles disent : « D’où je viens / Personne ne le sait. / Où je vais / Tout s’en va. / Le vent se lève / La vague déferle / Et personne ne sait  ».

Une construction parfaite

Le roman reprend chacun de ces vers pour en faire les titres de ses chapitres, qui alternent avec des titres de tableaux accrochés au Metropolitan Museum of Art, tout près de l’endroit où a eu lieu cette rencontre fantomatique, dont on ne sait pas vraiment si elle est réelle ou rêvée. L’effet produit est aussi flou qu’une photographie photographiée à son tour, quand on comprend que l’histoire a déjà été racontée, dans un roman de Robert Nathan intitulé Le Portrait de Jennie, paru en 1940, dont un film a été tiré par William Dieterle en 1948 :

« En général, le film est mieux connu que le livre dont il a été adapté. Enfin, je crois. “Un classique”, diraient certainement les cinéphiles – s’il en existait encore. Mais en ce qui me concerne, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait vu ce film ou qui ait lu ce livre, avec qui j’aurais pu en parler si j’avais cru qu’il y eût quelque chose à en dire.  »

La mélancolie ou la quête d’une impossible consolation

Dans ce conte de Noël, le merveilleux et l’enchantement sont teintés de tristesse, celle du narrateur qui, tel le peintre, rêve de la jeune fille et de la jeune femme que ne deviendra pas sa petite fille morte, qui ne disparaîtra jamais de son œuvre ni de son imagination : « Personne ne résiste à l’émerveillement d’un ciel d’où pleuvent des flocons quand le monde se recouvre de blanc, des trottoirs jusqu’aux toits. Pas moi, en tout cas. Même si je ne fête plus Noël depuis longtemps. Depuis que ma fille est morte qui, quatre ans avant de disparaître, était née ce même jour d’une fête que, par fidélité, par superstition, je n’ai jamais plus célébrée depuis – cela fait un quart de siècle maintenant. » Créer n’est pas la recréer, mais lui laisser la part du rêve et de l’imagination, en la faisant exister dans l’esprit des lecteurs. Folle espérance d’abolir la disparition, de faire revenir « l’enfant éternel » à la vie : « Depuis le début, avec chacune des histoires que je raconte, je peins le même portrait, je le fais avec l’idée que si un jour j’y parviens, il rendra la vie à ce que j’ai perdu. D’une certaine façon en tout cas. Bien sûr, je n’y crois pas. Je dis que je n’y crois pas. Je ne veux pas y croire. Car nul ne réussit jamais le portrait de personne. Au mieux, on peint le portrait de son absence. Tout comme c’est l’histoire de cette même absence que raconte chaque roman. Au mieux. Mais si je recommence, sans doute est-ce parce que j’y crois quand même un peu.  »

Au fond des larmes

Dans ce livre d’images, réelles ou imaginaires, qui est aussi une méditation sur l’art et le réel, l’auteur accorde une sorte de confiance, sinon à « l’emphase », du moins à une forme de pathétique, de pouvoir des larmes : « Si une histoire se termine mal – et c’est souvent le cas –, personne, au fond, n’y peut rien. Verser une ou deux larmes adoucit un peu les tragédies mais n’ôte rien à l’amertume de la leçon qu’elles donnent ». Il aime dans cette histoire qu’il raconte ce qui « manque aux histoires d’aujourd’hui – avec leur réalisme, leur bêtise et leur brutalité  ».

Ce roman est un enchantement triste, une réussite qui dit les pauvres pouvoirs extraordinaires de la littérature, auxquels il faut croire.