Un volume mêlant littérature, histoire, géographie et anthropologie invite à explorer les zones littorales qui constituent, de concert avec l’océan qui lui donne son nom, l’espace atlantique.

Les études atlantiques existent depuis bien longtemps déjà – songeons aux transtlantic studies ou aux oceanic studies. Mais ce volume collectif, dirigé par Charles Brion, se propose d’envisager plus spécifiquement la littérature littorale atlantique. Il s’agit alors de décrire des rivages et des territoires côtiers pour élargir l’Atlantique, le confronter aux autres espaces maritimes du globe – ce qui implique une dimension non seulement transatlantique, mais aussi transocéanique. Entre espaces américains, amérindiens, africains et européens, sont ainsi révélées des manifestations culturelles relevant de l’hybridation, du syncrétisme, de la transculturation ou de la créolisation. S’inscrivant dans la lignée de la géocritique et de la géopoétique, ce volume traite la littérature comme un vecteur de formes spatiales et géographiques nouvelles, ainsi que le laissent entendre les titres des trois grandes parties : « Récits transatlantiques », « Aires atlantiques », « Un autre Atlantique ».

Des échanges créateurs

Le cadre transatlantique permet l’analyse des circulations, des échanges et des migrations littéraires mais aussi éditoriales entre Europe, Amérique et Afrique. Mark Twain, Frances Trollope ou Henry James, par exemple, écrivent sur leur traversée de l’océan. Le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, par ailleurs, fait écho à la sinistre traversée de Toussaint Louverture, emmené dans le Doubs où il finira ses jours. Sans oublier des textes comme ceux de V. S. Naipul ou de Maryse Condé, qui, décrivant l’écartèlement entre deux cultures ou toutes sortes de rémanences coloniales, thématisent les difficultés existentielles qui habitent, si l’on ose dire, l’espace transatlantique.

Entre expérience, témoignage et pure création littéraire, les échanges transatlantiques appartiennent en outre à l’histoire des idées. Cette histoire peut être celle des avant-gardes en Amérique latine, du mouvement tricontinental de la Négritude chez Césaire, Damas et Senghor, ou encore du réalisme magique et de son inspiration littéraire transocéanique.

Dire l’aire atlantique : une question de point de vue

Quant aux « aires atlantiques », elles révèlent des périples, des personnages ou des rivages singuliers. Dans sa contribution, Louis Marrou invite de la sorte le lecteur à marcher dans les pas du chroniqueur ecclésiastique Gaspar Frutuoso, qui évoquait à la fin du XVIe siècle dans ses Saudades da Terra l’île de Flores, qui venait d’être peuplée récemment. C’est un monde âpre, dur, rugueux qu’il décrit… sans y avoir jamais mis les pieds, grâce à la compilation de différentes sources, auxquelles il ajoute une part de fiction.

Se pose alors la question de l’énonciation de l’histoire atlantique et transocéanique. Songeons au mémoricide amorcé avec l’arrivée des Espagnols au Mexique en 1517, qui conduisit à la destruction des voix aztèques, le point de vue des Conquistadors devenant, pour longtemps, la seule voie d’accès à ces territoires, à leurs peuples et à leur histoire. Dans une perspective comparable, la construction de l’imaginaire caraïbe est un geste important, les écrivains de la créolité s’en servant pour combler le manque d’une histoire des origines.

L’Atlantique toujours renouvelé

La dernière section, « Un autre Atlantique », est l’occasion d’explorer des corpus de première importance, mais parfois quelque peu méconnus. Songeons par exemple aux textes et dessins de Sydney Parkinson, John Rickman et Heinrich Zimmerman, tous compagnons de voyage de James Cook. Ailleurs (dans l’oeuvre de Wadji Mouawad, notamment), le littoral peut devenir l’objet même d’une performance théâtrale.

Et c’est aussi une « autre Amérique » qui se dessine – concept multiple, évocateur notamment des Antilles, ouvrant à des Amériques plurielles, certaines d’ailleurs purement intimes. Dans les romans de Toni Morrisson, en particulier, les eaux mémorielles de l’Atlantique permettent aux personnages de se remémorer le passé et d’accéder à leur vie intérieure.

Ainsi, cet ouvrage comparatiste et interdisciplinaire (littérature, histoire, géographie, anthropologie) nous invite à nous souvenir que ce qui peut sembler une zone bien délimitée sur la mappemonde est en réalité un tissu d’expériences, de discours et d’échanges en perpétuelle évolution. De là l’importance d’intégrer explicitement à l’espace atlantique comme objet d’étude ces vastes zones littorales (voire continentales) dont l’océan a contribué (et contribue encore) à informer l’histoire.