Synthèse particulièrement aboutie, Les Années Résistance 1940-1944 retrace le caractère pluriel de la Résistance, de ses acteurs, de leurs engagements et de leurs actions.

L’année 2024 fut riche en commémorations, en particulier celle des 80 ans des débarquements de Normandie et de Provence ainsi que de la Libération de la France. Ces différentes manifestations ont été l’occasion de rendre un hommage à la Résistance. Elle demeure malgré tout mal connue de beaucoup de Français. L’ouvrage de l’historien Fabrice Grenard vient combler ce manque par cette synthèse concise, précise, didactique et vivante. Le choix de s’appuyer sur des archives et des documents « pour permettre une approche sensible et multiforme de l’évènement  » est particulièrement appréciable à l’heure où de nombreux auteurs font malheureusement le choix d’une écriture s’appuyant sur les travaux historiographiques antérieurs sans nécessairement consulter les sources.

Directeur scientifique de la Fondation de la Résistance, Fabrice Grenard est reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de la Résistance intérieure et des maquis en France. À la suite d’une publication remaniée de sa thèse de doctorat sous la direction de Jean-Pierre Azéma   il s’est consacré à l’histoire des maquis   et aux maquisards   . Deux autres historiens spécialistes de la Résistance, Fabrice Bourrée et Frantz Malassis, ont par ailleurs contribué à cet ouvrage.

1940-1941 : du refus aux premières organisations

L’année 1940 est celle des prémices de la Résistance. Dans une France abattue par le « traumatisme » de la défaite, s’engager pour poursuivre la lutte s’avère extrêmement difficile. Aucune structure n’existe, hormis quelques individus regroupés autour du général de Gaulle. Cela implique en outre de se rendre en Angleterre, choix risqué et hasardeux. En France, les partis politiques et les organisations syndicales se sont effondrés. Entrer en résistance conduit par ailleurs à combattre le vainqueur allemand, mais aussi à désobéir au maréchal Pétain, toujours auréolé d’un prestige immense.

La Résistance n’est donc qu’une affaire individuelle pour des personnes désirant faire quelque chose. Seule exception, le Parti communiste français (PCF), interdit par un décret-loi du 26 septembre 1939 après la signature du pacte germano-soviétique, peut continuer de mener la lutte en raison de la tolérance de l’occupant à son égard. Il dénonce ainsi la poursuite de la guerre. Les « premiers appels » à la résistance ont lieu dès juin 1940. Si celui du 18 juin est bien connu, d’autres exhortations à poursuivre la lutte existent, comme celles d’Edmond Michelet à Brive ou de Charles Tillon à Bordeaux dès le 17 juin 1940. Durant l’été et l’automne 1940, les premières actions résistantes se mettent en place et avec elles les premiers fusillés dont les exécutions sont particulièrement documentées. Les objectifs des pionniers et pionnières de la Résistance sont de « réveiller l’opinion » encore traumatisée par la défaite, au travers notamment de tracts et journaux clandestins. Il s’agit aussi d’organiser les évasions, en particulier des prisonniers de guerre en direction de la zone non occupée, mais aussi les passages clandestins de la ligne de démarcation. Les «  premiers contacts » entre les deux résistances intérieure et extérieure sont également noués.

Le mois de novembre 1940 voit les premières manifestations collectives de résistance avec le dépôt de fleurs sur la tombe du Soldat inconnu le 1er novembre et des rassemblements à l’occasion de la célébration de l’armistice de 1918. Quelques mois après la défaite, ces premiers actes collectifs marquent un premier basculement psychologique, l’amour de la patrie l’emporte sur l’abattement. L’année 1941 est synonyme pour la Résistance de structuration, de développement, mais aussi d’une lutte farouche pour survivre. Profitant de circonstances plus favorables en France (crise du ravitaillement, politique de collaboration, rejet progressif de Vichy) et à l’international (opération Barbarossa conduisant le PCF à la lutte armée à l’été 1941), les mouvements de résistance se développent et deviennent de plus en plus audibles auprès de la population. La période de juillet à décembre 1941 est ainsi marquée par l’apparition et le développement des grands réseaux de Résistance comme Combat, Défense de la France, Libération-Nord ou encore l’Organisation civile et militaire (OCM). En parallèle, des actions collectives ont lieu tout au long de l’année, comme les manifestations de ménagères à l’hiver 1941, les grèves des mineurs du Nord du 27 mai au 10 juin 1941 ou le défilé du 14 juillet 1941. Le 21 août 1941, à la station de métro Barbès-Rochechouart, Pierre Georges dit colonel Fabien, chef des Bataillons de jeunesse communiste, accompagné de Gilbert Brustlein, abat l’aspirant allemand Alfons Moser. Cette action marque le début de la lutte armée communiste à l’encontre de l’occupant. D’autres attentats similaires sont menés en province dans les jours qui suivent. L’occupant réagit par une répression féroce et par des exécutions massives d’otages, conduisant à un rejet populaire de telles actions. Le 25 octobre 1941, « un moment décisif dans l’histoire de la Résistance » a lieu lorsque le général de Gaulle rencontre à Londres Jean Moulin, qui deviendra le représentant personnel du général et le délégué de la France Libre en zone sud, avec pour mission d’unifier l’action des mouvements de résistance. L’action de l’Angleterre à l’égard de l’opinion et de la résistance française est également intense autour de la campagne des V pour montrer son soutien à l’Angleterre dans sa lutte contre le Reich ou des actions du SOE (Special Operations Executive) en charge de soutenir les résistances intérieures dans les pays occupés.

1942-1943 : du développement à l’unification

L’année 1942 marque un tournant, les Alliés obtenant leurs premières victoires, ce qui renforce l’idée de leur future victoire et de la libération de la France. Sur le plan intérieur, le retour de Pierre Laval à la tête du gouvernement provoque une réaction de rejet de l’opinion, car sa politique de collaboration intensifiée passe de plus en plus mal. La Résistance gagne de plus en plus en légitimité et ne cesse de grandir. Sa structuration se poursuit notamment avec la mission menée par Jean Moulin qui aboutit en mars 1942 à la première réunion des chefs des mouvements de la zone sud. Si l’heure n’est pas encore à l’unification, un rapprochement est envisagé. En parallèle, les contacts entre la France libre et la résistance intérieure se multiplient et se renforcent grâce à des liaisons aériennes et maritimes, mais aussi grâce aux ondes radio. Seule organisation dotée d’un service action dès 1941, le PCF se voit rejoint par des groupes francs de Combat en zone sud. Ces derniers mènent à partir de février-mars 1942 des actions coordonnées de sabotage visant à effrayer et à dissuader sans causer de victimes. À l’été 1942, la création d’une Armée secrète unifiant les branches armées des mouvements de résistance en zone sud est actée. Elle est officiellement créée le 2 octobre avec à sa tête le général Delestraint. Bien que demeurant théorique, l’Armée secrète se structure pour être présente dans l’intégralité de la zone sud. Comme pour l’année 1941, la répression allemande vis-à-vis du PCF dont les membres multiplient les attentats à l’égard de l’occupant demeure intense. En mars et avril 1942, deux grands procès sont organisés par les Allemands pour marquer l’opinion et la retourner contre ces « terroristes ». Tous les accusés sont condamnés à mort et la plupart sont exécutés.

Les mobilisations collectives contre l’occupant, mais aussi le gouvernement de Vichy et sa politique de collaboration, se multiplient en 1942 lors du 1er mai, du 14 juillet ou de la mise en œuvre des réquisitions de travailleurs à partir de septembre. Les difficultés de ravitaillement conduisent, comme lors de l’hiver 1941 à des manifestations de ménagères, dont certaines sont orchestrées par le PCF. À l’été 1942, les rafles à l’encontre des Juifs se multiplient, dont celle du Vélodrome d’hiver les 16 et 17 juillet 1942. Elles touchent dorénavant toutes les catégories, y compris les femmes, les vieillards et les enfants, ce qui conduit à une importante vague de protestations, notamment chez le personnel religieux.

À la suite des premières victoires alliées et des débarquements en Algérie et au Maroc en novembre 1942, l’année 1943 est perçue comme celle d’une libération imminente. La Résistance continue de se structurer afin d’être prête à passer à l’action le moment venu. Le 27 mai 1943, le Conseil national de la Résistance rassemblant mouvements de résistance, partis politiques et syndicats se réunit pour la première fois sous la présidence de Jean Moulin et se place sous l’autorité du général de Gaulle. Après la mise en place du Service du travail obligatoire (STO), les nombreux réfractaires rejoignent les maquis, gonflant de manière importante les effectifs de la Résistance. Elle doit pour cela s’organiser pour appréhender cet afflux, par exemple en créant de nouvelles filières chargées de fabriquer des faux papiers. L’équipement et l’encadrement de ces jeunes posent également de nombreuses difficultés pour les mouvements de résistance. Le maquis devient progressivement une « organisation combattante et disciplinée ». La vie y demeure particulièrement dure en dépit de l’aide matérielle des populations. L’année 1943 est aussi celle des drames pour la Résistance avec l’arrestation puis la disparition de plusieurs de ses figures de proue (le général Delestraint le 9 juin, Jean Moulin le 21 juin). La répression est de plus en plus féroce face à une intensification des sabotages et des attentats menés en particulier par les FTP-MOI communistes survoltés après la victoire de Stalingrad. Cela n’empêche pas pour autant de nouvelles mobilisations collectives, comme celles des maquis pour le 11 novembre (à Oyonnax par exemple) ou celle célébrant la libération de la Corse le 4 octobre 1943.

1944 : vers la Libération

Convaincue qu’un débarquement est proche, la Résistance s’organise pour être prête à interagir militairement avec les Alliés. En février 1944, les Forces françaises de l’Intérieur (FFI) sont créées par la fusion des principaux groupements militaires de la Résistance. D’autres institutions politiques sont également mises en place au niveau national et local pour prendre la suite des autorités vichystes à la Libération dans l’attente d’élections à venir. Pourtant l’année 1944 débute mal, marquée par l’exécution des 23 FTP-MOI dirigés par Missak Manouchian. Auteurs de nombreux actes de guérilla (déraillements, sabotages, attentats), ils sont arrêtés en novembre 1943. Soucieux d’attenter à l’image de ces résistants et plus généralement de la Résistance, l’occupant se sert de leur procès le 23 novembre 1943 pour entamer une vaste campagne de propagande les dénigrant, dont l’Affiche rouge est le symbole. Son effet est pourtant contraire à celui recherché par les Allemands, l’opinion témoignant de nombreuses marques de sympathie à leur égard. Le 26 mars 1944, c’est au tour du maquis des Glières d’être pris par les Allemands. 129 maquisards sont tués, une vingtaine de civils sont fusillés ou déportés pour avoir apporté leur aide. L’annonce du débarquement n’empêche pas la Résistance de se mobiliser par des actions de sabotage ou d’insurrection afin de libérer certains territoires. Les Allemands réagissent à nouveau brutalement avec une répression sanglante, comme à Tulle, à Oradour-sur-Glane ou contre les maquis, par exemple dans le Vercors. Le débarquement de Provence le 15 août 1944 entraîne une nouvelle vague insurrectionnelle menée par les FFI dans le Sud de la France. La libération de Paris est un autre symbole de l’action des FFI, mais aussi des difficultés qu’ils rencontrent en matière d’armement notamment.

Les derniers chapitres de l’ouvrage se penchent sur le destin de la presse clandestine intégrée dans la presse officielle et, plus largement, sur l’avenir de la Résistance dont les actions s’étendent jusqu’à la Libération. Ils abordent également le difficile «  retour à la normale  » des résistants et résistantes.

En plus d’être un beau livre, cet ouvrage est une brillante synthèse sur ces « Années Résistance ». Bien que destiné au grand public, les élèves du secondaire et leurs enseignants pourront aussi en tirer profit. S’il n’y avait qu’une seule réserve à formuler, ce serait l’absence de bibliographie qui aurait comblé le choix de l’auteur de renoncer aux notes de bas de pages. Cela n’enlève bien évidemment rien au tour de force réalisé par Fabrice Grenard : rendre compte de l’essentiel en l’illustrant à merveille pour rendre simple une histoire de la Résistance qui ne l’est pas.