Dans son dernier ouvrage « Munich 1938 », Maurizio Serra livre un éclairage nouveau sur cette conférence que tout le monde connaît sans réellement savoir ce qu’elle fut réellement et ses conséquences.

Le 9 mars 2024, Valérie Hayer, tête de liste Renaissance pour les élections européennes, évoque en plein meeting la guerre en Ukraine et ses conséquences pour l’Europe : « Hier, Daladier et Chamberlain, aujourd’hui Le Pen et Orban. Les mêmes mots, les mêmes arguments, les mêmes débats. Nous sommes à Munich en 1938 ». Cette phrase a pu choquer ou à tout le moins susciter le débat. Elle est le symbole d’un imaginaire collectif autour de cette conférence de Munich parfaitement résumé au travers de l’adjectif « munichois ». Ce terme désigne de manière péjorative un partisan de l’accord conclu à Munich le 29 septembre 1938 entre l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie. Être « munichois » renvoie à la faiblesse et au renoncement des démocrates face à la détermination du totalitarisme. Basée sur cet imaginaire, cette phrase témoigne surtout d’une profonde méconnaissance de ce que fut cet évènement en dépit d’une historiographie abondante et présente une nouvelle illustration de la mauvaise utilisation de l’Histoire par le personnel politique. Il est dommage que cet ouvrage ne soit pas paru quelques semaines avant, ce qui aurait peut-être permis de combler cet écueil.

Ancien diplomate du gouvernement italien, Maurizio Serra est l’auteur de plusieurs livres historiques dont celui sur les destins croisés de Drieu la Rochelle, Aragon et Malraux   . Il est également l’auteur de biographies qui ont fait date sur Curzio Malaparte   , Italo Svevo   et Gabriele D’Annunzio   . En 2021, il publie un livre original sur Benito Mussolini   écartant l’approche chronologique au profit d'un examen thématique de la vie et de la carrière du dictateur.

Le décor de la conférence

La conférence de Munich et l’accord qui en découle (l’expression « accords de Munich » est généralement préférée pour présenter ce texte se limitant à un préambule, huit articles et quatre annexes) se déroule les 29 et 30 septembre 1938. Suivant son programme politique pangermaniste décrit dans Mein Kampf au milieu des années 1920 et après l’annexion de l’Autriche en mars 1938, Hitler réclame en septembre 1938 la « libération » des 3,2 millions d’Allemands peuplant la région des Sudètes d’une Tchécoslovaquie considérée comme opprimante à l’égard de cette minorité. Il appuie sa revendication sur l’agitation des nazis locaux, dirigés par Konrad Henlein, au sein du Parti allemand des Sudètes mais également sur le droit à l’autodétermination des peuples. Ce concept issu du droit international est apparu au début du XXe siècle, notamment au moment de la Première Guerre mondiale. Bien qu’appliqué imparfaitement par la Société des Nations après-guerre, il demeure un leitmotiv toujours présent dans les années 1930.

Sous couvert de cette revendication, Hitler poursuit en réalité l’éclatement de l’État tchécoslovaque qu’il considère comme factice et la création d’un grand Reich germanique. Dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler au début de l’année 1933, les démocraties européennes semblent l’avoir compris et sont aux aguets. Pour leur population, comme d’ailleurs pour une part non négligeable d’Allemands, le déclenchement d’une nouvelle guerre après la « boucherie » de la Première Guerre mondiale est au cœur des préoccupations et doit être évité à tout prix.

Cette mise en abime est l’objet des trois premiers chapitres représentant près des deux tiers du livre. Ce choix délibéré de Maurizio Serra d’axer son propos sur les préparatifs et la mise en contexte de cette conférence de Munich est remarquable car il aboutit à présenter sous un jour nouveau les protagonistes et leurs interactions. À cet égard, le premier chapitre intitulé « Quatre hommes en septembre… et trois autres dans la coulisse » est particulièrement instructif. Neville Chamberlain est dépeint comme « l’Anglais fuligineux » méfiant à l’égard de l’Europe continentale et peu enclin aux voyages, notamment en avion, préférant « le calme, la pêche, les oiseaux et les lépidoptères ». Le « taureau gaulois » Édouard Daladier est représenté tout en nuances, loin de l’image véhiculée après la conférence d’un simple coresponsable de la reddition. Benito Mussolini est présenté comme « l’Italien bronzé », opportuniste et doté d’une évidente souplesse politicienne dont l’apogée sera atteint à la conférence de Munich. Hitler cherche quant à lui à refonder la carte de l’Europe et souhaite en finir avec la Tchécoslovaquie, y compris en provoquant une guerre avec les démocraties « alliées » à cet État. Les présentations d’Edvard Beneš, de Staline et de Roosevelt, tous trois absents de la conférence, terminent cette galerie de portraits principalement issue des mémoires des protagonistes, de biographies, de témoignages et de quelques pièces diplomatiques.

Deux faiblesses apparaissent toutefois dans ce premier chapitre et sont récurrentes par la suite. Tout d’abord, les sources archivistiques sont peu utilisées, ce qui peut surprendre même si manque est comblé par une analyse très approfondie de l’importante documentation déjà existante sur le sujet. Ensuite, de nombreuses digressions apparaissent au fil des pages, qui sont particulièrement intéressantes pour le spécialiste mais qui peuvent dérouter, voire perdre le lecteur généraliste.

Munich avant Munich

Avant de s’intéresser à la conférence en elle-même, les chapitres 2 et 3 décrivent la situation déjà bien connue de la Tchécoslovaquie et les relations diplomatiques entre les protagonistes. De longs développements reviennent sur la mission de Walter Runciman, reflet de la stratégie d’apaisement britannique définie au début des années 1930. En août 1938, ce dernier est envoyé par Neville Chamberlain pour arbitrer le différend entre le gouvernement tchécoslovaque et le Parti allemand des Sudètes. Cette mission est vouée à l’échec, Hitler ayant donné pour instructions à ce parti satellite de ne parvenir à aucun accord. Les tensions internationales ne cessent donc d’augmenter, aboutissant au rappel de Walter Runciman à Londres à la mi-septembre 1938.

Dans le même temps, et avant l’échec de cette mission diplomatique, le cabinet restreint britannique envisage dès la fin août 1938 une visite surprise au Führer à Berlin. Abandonnant rapidement le caractère délirant de cette idée, une demande formelle d’audience est formulée par l’ambassadeur britannique. Profitant de la reddition diplomatique des Britanniques qui n’ont même pas consenti à informer leurs alliés français de cette démarche, Hitler impose la tenue de cette conférence bipartite à la résidence de Berghof, située à Berchtesgaden, dans les Alpes bavaroises. Devant Neville Chamberlain, Hitler exige l’autodétermination des Sudètes afin d’éviter un conflit européen. S’attendant à une demande autrement plus importante, Chamberlain consent.

Une conférence est prévue dans les jours suivants, le temps pour les Britanniques de convaincre les Français et par leur biais les Tchèques. Convoqués à Londres, Édouard Daladier et Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, ne s’opposent pas sur le fond mais émettent des réserves sur la forme en sollicitant que la cession des Sudètes soit contrôlée par un organisme international et que les nouvelles frontières de la Tchécoslovaquie soient garanties conjointement par Londres et Paris. Les Anglais acceptent, l’important pour eux étant que les Tchèques se rendent aux exigences allemandes.

Cette nouvelle conférence se tient le 22 septembre à Bad Godesberg en Rhénanie du Nord. À la suite de troubles fomentées par le parti nazi local, les Sudètes s’embrasent, plaçant Hitler dans une position de force. En dépit des efforts britanniques pour satisfaire ses précédentes exigences, celui-ci impose dorénavant le démantèlement de la Tchécoslovaquie et l’occupation des Sudètes à partir du 26 septembre. La délégation anglaise, qui ne peut plus reculer, ne peut qu’accepter ce diktat allemand. Cet épisode, particulièrement développé et documenté, conduit Maurizio Serra à s’interroger sur les réelles marges de manœuvre de Neville Chamberlain.

La conférence et ses suites

Il ne reste plus qu’à organiser une conférence pour sceller définitivement le sort des Sudètes et de la Tchécoslovaquie. Très vite, l’Italie de Mussolini apparaît pour toutes les parties comme la seule à pouvoir trouver une formule satisfaisante entre les positions intransigeantes du Reich et les demandes franco-britanniques. Le compromis proposé par le duce et par le comte Ciano, ministre des Affaires étrangères, est accepté, tout comme l’idée de se réunir à Munich.

Le chapitre 4 est consacré à la conférence en elle-même qui se déroule les 29 et 30 septembre 1938. Il débute par une présentation particulièrement bien documentée de l’ensemble des convives, permettant d’éclairer leur état d’esprit. Une description détaillée du déroulé de ces journées suit, en mettant une nouvelle fois l’accent sur la psychologie des protagonistes. Cela permet une nouvelle fois de mieux comprendre cet évènement et les différentes positions adoptées par chacun des participants. La place centrale revient à Mussolini et à son projet d’accord qui, à quelques nuances près, notamment linguistiques, est adopté.

À l’issue de cette conférence, il revient aux Anglais et aux Français d’expliquer aux Tchèques, grands absents, le sort qui leur a été réservé sans même les avoir consultés. Ils réagiront le 30 septembre par la publication d’une note dénonçant cet accord nul car souscrit en l’absence de tout accord de la Tchécoslovaquie. Cet acte de bravoure est vain, la procédure d’annexion étant lancée le même jour. Pendant ce temps, Chamberlain obtient du Führer, sans en informer les Français à nouveau, une déclaration anglo-allemande sur la renonciation à la guerre. Le dernier chapitre est consacré aux suites de Munich pour chacun des protagonistes. Même s’il s’agit sans doute de la partie la mieux connue de la conférence de Munich, il n’en demeure pas moins particulièrement intéressant, notamment pour comprendre la complexité des relations italo-allemandes avant l’inféodation de l’Italie fasciste à l’Allemagne nazie. Un addendum finit de compléter utilement cet ouvrage avec une chronologie essentielle et le texte de l’accord.

S’il n’y avait qu’une seule réserve à formuler à cette brillante étude, ce serait la posture adoptée par Maurizio Serra qui, bien souvent, privilégie la posture du diplomate à celle de l’historien, perdant parfois sa neutralité ou basculant parfois dans l’uchronie. Son parti-pris d’une « histoire à l’ancienne » – celles des grands hommes – est discutable même si les apports de cet ouvrage le justifient sans doute.