Tim McHugh s'attaque avec succès à l'idée que le "grand siècle" aurait vu naître une politique hospitalière nationale.

L'histoire hospitalière, domaine académique actif dans la France des années 1960-1990, semble s'être substantiellement déplacée sous des cieux anglo-saxons. Tendance confirmée par Hospital Politics in Seventeenth-Century France. The Crown, Urban Elites and the Poor, où Tim McHugh cherche à dégager les motivations et les changements qui affectèrent les politiques d'assistances aux pauvres (social welfare, poor relief policies) durant le XVIIe siècle. De ce fait, l'objet principal de l'étude est l'hôpital, qui subit déjà des transformations importantes à la période pour devenir une institution sociale de traitement de la pauvreté, de la vieillesse et de la maladie.

 
Les élites et leurs déterminants : cadres généraux et contextes locaux
 
L'argument central de l'auteur est le suivant : si les historiens et/ou philosophes qui se sont intéressés à cet objet – comme L. Lallemand ou C. Paultre au début du XXe siècle ou plus récemment M. Foucault, J-P. Gutton, J. Imbert, C. Fairchilds, C. Jones ou K. Norberg – ont largement balayé la période en mettant chacun à jour des déterminants singuliers quant aux motivations des politiques d'assistance mises en place (lutte contre le vagabondage et la mendicité, Contre-Réforme, renforcement des pouvoirs de la monarchie absolue, etc.), ils restent largement tributaires du postulat que l'impulsion et la conduite plus ou moins serrée de ces politiques appartiennent très largement au pouvoir central. Or, pour McHugh, cette attention trop exclusivement portée aux directives royales est une erreur, dans la mesure où les premiers acteurs en matière d'assistance et de politique hospitalière au XVIIe siècle sont les "élites locales"   : noblesse de robe et d'épée, ecclésiastiques, bourgeoisie,... la couronne se contentant de fournir un cadre légal plus ou moins respecté et des arbitrages en cas de conflits intra ou inter localités, tout en faisant son possible pour s'arroger le crédit des politiques d'assistance.
 
Pour appuyer sa thèse, l'auteur organise son livre en trois parties. La première est consacrée aux concepts et idées développés au XVIe et XVIIe siècles sur la charité et l'assistance. La seconde aborde les relations entre le gouvernement central et les élites de Paris en ce qui concerne les pauvres. Enfin, la troisième a pour but de "comparer les systèmes d'assistance de la capitale avec ceux des villes provinciales plus petites de Montpellier et Nîmes".
 
Dans l'ensemble, le livre est d'un grand intérêt. Bien écrit, concis, efficace, relativement bien documenté (le format quelque peu réduit dut imposer de limiter les notes de référence), il apporte une perspective indéniablement intéressante à un domaine déjà largement visité.

Mêlant histoire des théories économiques, histoire des doctrines religieuses et sociologie historique façon Nobert Elias   McHugh commence par cerner de façon éclairante les liens qui se tissent aux XVIe et XVIIe siècles autour des idées d'assistance et de charité et incidemment de l'hôpital.

Un exposé rapide des décisions royales en matière hospitalière permet à McHugh d'insister sur le fait que pour lui si la couronne a pu, à cette époque, prendre des décisions d'envergure, elle n'avait en aucun cas l'intention d'intégrer à ses prérogatives les politiques d'assistance. Largement tributaire de la tradition soutenue par les doctrines de la loi naturelle, c'étaient aux élites locales de remplir ce rôle, la royauté se cantonnant à des encouragements.

Vient ensuite un exposé détaillé de quatre contextes locaux (l'Hôtel-Dieu et l'Hôpital Général de Paris, l'assistance à Montpellier et Nîmes), qui appuient l'analyse générale précédente. L'auteur nous y montre des élites locales attachées à leurs hôpitaux et au soulagement des pauvres solliciter du soutien auprès de l'administration royale en cas de besoin, mais aussi ignorer ou même franchement contrevenir aux directives du gouvernement central ou de la hiérarchie ecclésiastique, parfois avec la bénédiction de l'intendant, pour composer une idiosyncrasie largement indépendante du cadre national. L'argumentation est convaincante : bien construite et adossée à un panel de sources archivistiques départementales.

 
Médicalisation et évolution longue de la politique hospitalière
 
L'analyse générale est donc stimulante, d'autant plus qu'elle attise un scepticisme bienvenu face aux grandes analyses nationales sur un sujet où les déterminants locaux ont toujours été primordiaux.

Ceci étant dit, le livre de McHugh suscite aussi quelques interrogations, qui sans mettre en doute l'ensemble du propos de l'auteur, en nuanceront peut-être la portée.

Du fait même que les politiques hospitalières sont conçues comme quasi-exclusivement du domaine des élites locales, l'auteur se trouve obligé d'en trouver le ressort au même niveau. Et il insiste beaucoup sur l'idée qu'elles serviraient aux élites d'instrument de légitimation auprès du peuple. En lui offrant un hôpital, les élites "gagneraient" le respect et l'approbation populaire, tout en luttant contre une mendicité et un vagabondage qui effraient de plus en plus. C'est certainement un motif en jeu dans les actions charitables de l'époque, mais n'est-ce pas accorder un peu trop de place à un mode de reconnaissance qui n'était certainement pas le plus important dans la France du XVIIe siècle ?

C'est par le même argument que sont expliqués les débuts de la "médicalisation" hospitalière : la signature de contrats avec des chirurgiens et/ou médecins pour s'assurer leurs services au sein de l'institution. Ce faisant, les élites locales satisferaient à une demande populaire locale. L'argument peut être débattu, tant on sait que l'emprise de la médecine académique se développa lentement, prise entre ses logiques corporatistes et ce que Laurence Brockliss et Colin Jones ont appelé la "pénombre médicale"   qui resta longtemps le premier recours de la population en cas de maladie. Et ceci même dans les villes et jusqu'à la fin du XVIIIe et au début du XIXe   – soit un siècle plus tard. Par ailleurs, il est fort peu question dans ce livre des logiques corporatistes, souvent liées au pouvoir politique   , qui auraient peut-être pu expliquer pour partie cette médicalisation hospitalière.

Enfin, s'il peu paraître logique que l'auteur ait légèrement forcé son argumentation pour faire prévaloir sa thèse, il ne reste pas moins que l'engagement croissant du pouvoir central dans la politique hospitalière au XVIIIe siècle (que Tim McHugh ne semble pas contester) n'est pas sorti de la couronne magique de Louis XV. Il semble légitime de le comprendre comme une extension continue de l'intérêt royal en la matière. D'autant plus que ce sont largement les mêmes arguments qui seront alors mis en avant pour l'appuyer : arguments économiques, moraux, et d'efficacité médico-administrative   .
 
Ces quelques nuances finales ne doivent pas faire oublier le grand intérêt de ce livre, qui, somme toute, n'a peut-être que les défauts de ses qualités.