En complément de l’exposition du musée des Arts décoratifs, son catalogue richement illustré allie approche sociologique et histoire de l’art.
D’après son étymologie latine (intimus), l’intime est ce qui est le plus à l’intérieur de nous, et par extension tout ce qui relève de la vie privée. Le mot apparaît en France au cours du XVIIIe siècle. Mais c’est au XIXe siècle que cette notion s’impose, avec l’émergence d’une classe bourgeoise qui sépare la vie professionnelle de la vie familiale, tout autant que les activités masculines et féminines. La notion d’intime s’est ensuite profondément modifiée au XXe siècle, et surtout dans les premières décennies du XXIe siècle, avec les techniques de protection et de surveillance, les réseaux sociaux et les confinements. Les frontières entre privé et public sont devenues plus floues et poreuses, engendrant de nombreux débats.
En retraçant l'évolution des représentations de l'intime, il s’agit de savoir s'il est devenu une tyrannie, dans une société trop narcissique qui oublie la chose publique, ou s’il est menacé par tous ces récents changements. C’est ainsi que dans un article intitulé « I Will Survive : vivre sans domicile fixe », Maria Teresa Feraboli s’interroge sur la préservation de l’intime dans la précarité. Que reste-t-il de l’intime et comment le protéger lorsqu’on se trouve en situation précaire, privé d’un espace à soi, qu’il s’agisse du sans-abri, du migrant, du prisonnier ou du malade ?
Au cœur des objets et des représentations
L’intime s’est peu à peu transformé, comme en témoignent les objets d’art décoratifs, le design, les œuvres d’art, les images et les objets du quotidien. Chambres, lits, objets et images liés au bain ou aux commodités, à la beauté, à la sexualité, au repos ou à l’être-ensemble parlent de nos manières de vivre et de leur évolution. C’est ainsi que Sam Bourcier consacre un article au « design genré de la pisse et de la merde : bourdaloues, pisse-debout et autres prothèses de genre ».
Le processus de civilisation a entraîné, surtout à partir du XVIIIe siècle, une domestication des pulsions, une hausse du contrôle social et du seuil de la pudeur qui n’avait guère de signification jusqu’alors. La notion de délicatesse apparaît alors dans les actes du quotidien, les fonctions corporelles se devant d’être peu à peu dissimulées. Uriner en public grâce au bourdaloue, pot de chambre utilisé par les femmes du XVIIIe siècle (et qui tire son nom – attesté en français en 1762 – de la longueur des sermons du célèbre prédicateur, qui imposait l’usage de cet objet aux dames venues l’écouter), se soulager sur un cabinet d’aisance ou une chaise percée, voire dans l’espace public, ne sont bientôt plus des pratiques familières. L’invention moderne de l’hygiène et de l’intimité modifie les lieux d’aisance, qui deviennent l’objet d’interdits au XIXe siècle.
Nadeije Laneyrie Dagen, pour sa part, propose une « histoire de la salle de bains, du XVIIIe siècle à nos jours », tandis que Claire Ollagnier s’intéresse aux « transformations de la chambre, du XVIIIe au XIXe siècle ».
S’interrogeant également sur les lieux et les objets de l’amour ainsi que sur la construction des apparences et de la beauté au cœur de l’intime, ce catalogue présente aussi quelques images de journaux intimes provenant du fonds de l’APA (Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique) situé à Ambérieu-en-Bugey. Il s’agit alors de tenir une conversation avec soi-même, pour reprendre le titre d’un livre de Louis Antoine de Caraccioli écrit en 1761. Cette pratique du journal perdure sous d’autres formes aujourd’hui, et devient l’espace de l’intime ultime.