Souvent présenté comme un affrontement religieux ou civilisationnel, le conflit israélo-palestinien a pourtant pour objet, d’abord et avant tout, le contrôle d’un territoire.

Afin de permettre au grand public de mieux comprendre les terribles affrontements qui frappent à nouveau la Palestine depuis octobre 2023 (attaque massive du Hamas contre des civils et militaires en Israël puis destruction quasi-totale de la bande de Gaza par l’armée israélienne), les principaux médias et commentateurs ont largement misé sur l’outil cartographique. Une véritable profusion de cartes est aujourd’hui disponible pour représenter le blocus de la bande Gaza avant le 7 octobre, les différentes opérations militaires israéliennes et la localisation précise des bâtiments détruits depuis un an, ou encore les différents projets israéliens pour l’après-guerre. L’historien Dominique Vidal et le géographe et cartographe Philippe Rekacewicz se prêtent également à cet exercice, en élargissant la focale à la fois spatialement (la Palestine dans son ensemble) et chronologiquement (du XIXe siècle à nos jours).

Un siècle d’affrontements territoriaux

Palestine-Israël : une histoire visuelle a d’abord pour ambition d’expliquer l’histoire du conflit israélo-palestinien depuis ses origines. En dépit de la complexité du sujet et de la taille relativement réduite de l’ouvrage (250 pages environ), les auteurs y parviennent avec brio. Ils retracent efficacement les principales phases du conflit et ses grandes inflexions : le développement du sionisme à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les premiers affrontements majeurs en Palestine mandataire dans l’entre-deux-guerres, le tournant de 1948 avec la proclamation d’Israël et la succession de guerres israélo-arabes, la reprise en main du combat par les Palestiniens eux-mêmes à partir des années 1970, les espoirs générés par les accords d’Oslo de 1993, l’échec du processus de paix depuis les années 2000. Des événements controversés, comme le massacre des habitants arabes de Tantura par l’armée israélienne en 1948, sont exposés clairement en quelques paragraphes ou pages. Philippe Rekacewicz et Dominique Vidal veillent également à varier régulièrement les échelles, passant d’études très locales qui offrent des exemples concrets et détaillés des conséquences du conflit (le village bédouin d’Al-Araqib ou le centre d’Hébron) à des analyses plus globales qui permettent de recontextualiser l’affrontement (la décolonisation dans le monde). Enfin, les principaux acteurs de la « question de Palestine »   sont présentés dans toute leur complexité, qu’il s’agisse des grandes puissances internationales (tels les États-Unis pour les négociations d’Oslo) ou d’acteurs locaux (telle l’Organisation de Libération de la Palestine qui s’impose progressivement comme l’incarnation politique du peuple palestinien).

Comme son nom l’indique, l’ouvrage n’entend pas être un simple récit des événements, mais se caractérise aussi par la richesse de ses illustrations et de sa documentation. En plus de quelques extraits de textes importants (extrait du Journal du fondateur du sionisme Theodor Herzl, déclaration Balfour de 1917 par laquelle les Britanniques promettent la création d’un « foyer national juif » en Palestine, etc.) ou de graphiques à l’esthétique recherchée, il propose surtout des dizaines de cartes. Elles permettent de mieux comprendre le conflit lui-même et ses potentielles perspectives de règlement. Si l’on prend le cas de Jérusalem, l’extension des limites officielles de l’aire métropolitaine de la ville, la localisation précise des blocs de colonies, le tracé exact du « mur de sécurité » et de la route palestinienne de transit montrent comment les autorités israéliennes entendent rendre impossible tout partage de la capitale entre deux États indépendants. Plus largement, la prépondérance de cartes au sein de l’ensemble documentaire permet de rappeler un élément fondamental : le conflit israélo-palestinien est bien, avant tout, un conflit territorial entre deux peuples pour le contrôle d’un même espace.

D’innombrables projets de partage, souvent peu réalistes

Les documents (notamment des cartes) mis à disposition émanent presque tous soit d’acteurs internationaux (Royaume-Uni, ONU, États-Unis), soit des autorités sionistes puis israéliennes. Inversement, quasiment aucun document ne provient d’une source palestinienne. De ce constat peuvent être tirées deux réflexions. La première est bien connue : bien qu’il soit d’une ampleur limitée en termes de superficie comme de nombre de morts, le conflit israélo-palestinien ne cesse de mobiliser l’attention des grandes puissances et des institutions internationales. Ainsi d’innombrables projets sont soumis à la négociation et les conférences de paix se multiplient dans les années 1990-2000 (Madrid, Oslo, Camp David, Taba, Annapolis…) avant de connaître un très net ralentissement. Si les auteurs n’expliquent guère pourquoi le conflit connaît une telle résonance mondiale, ils soulignent toutefois l’implication de la communauté internationale et mettent en lumière ses limites.

La deuxième réflexion que suscite l'origine des documents porte sur la disproportion de propositions effectuées par les deux belligérants, dans la mesure où quasiment tous les autres projets sont produits par les Israéliens. Il est regrettable que le livre ne permette pas véritablement de trancher entre les différents hypothèses qui peuvent venir à l’esprit du lecteur pour expliquer ce phénomène : plus faible production intellectuelle palestinienne, notamment en raison des entraves posées par Israël (ce que pourrait suggérer l’encart passionnant qui revient sur l’histoire du méconnu Centre de recherches de l’OLP), refus des Palestiniens d’envisager de nouvelles concessions après la reconnaissance des frontières d’avant 1967, stratagème d’Israël pour donner des gages à la communauté internationale, etc.

À ce propos, on peut noter que nombre de ces projets, notamment ceux qui émanent des autorités israéliennes, apparaissent profondément déséquilibrés et irréalistes. Comme le montrent les auteurs, ces propositions morcellent généralement le territoire palestinien en plusieurs enclaves de petite taille, intègrent toute une série de colonies au territoire israélien et excluent systématiquement Jérusalem-Est d’un futur État palestinien. Il aurait donc été intéressant d'engager une réflexion sur la production concrète des cartes qui appuient ces projets. La distinction entre les cartes directement issues d’une des parties prenantes et celles réalisées spécifiquement pour le livre n’est guère mise en avant, tandis que les enjeux ou éventuels débats sur les choix cartographiques des auteurs (à savoir, quels éléments représenter et comment les représenter) sont rarement explicités, malgré ce que l’introduction pouvait laisser espérer.

En somme, les deux auteurs proposent un beau livre, réussi visuellement malgré un travail éditorial sans doute un peu trop rapide   . Sur le fond, il présente une synthèse claire et pertinente sur l’histoire du conflit israélo-palestinien et est agrémenté de nombreux documents intéressants, dont l'analyse gagnerait parfois à être encore approfondie.