Un ouvrage de référence de l'ethnologue Yvonne Verdier retrace le quotidien des femmes dans un village français rural de la première moitié du XXe siècle.

Entre 1968 et 1975, Yvonne Verdier participe à une enquête ethnographique collective menée par le CNRS sur le village de Minot, en Côte-d’Or. Il s'agit d'étudier la vie quotidienne des femmes dans ce village bourguignon, depuis le début du siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres, puis de 1950 à 1975. Le résultat de ce travail est publié en 1979 par les éditions Gallimard sous le titre Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière. C'est la réédition de cet ouvrage, désormais classique, que proposent les éditions Folio.

Distribution des rôles sociaux

Comme le sous-titre l'indique, l'autrice retient trois figures de femmes qui jouent un rôle social particulier : la laveuse, la couturière et la cuisinière. Toutes incarnent une part de savoir-faire spécifique, dessinant les rapports à l'espace, au temps ou à la nature d'un groupe social donné.

Mais ces figures font aussi office de prismes particuliers à partir desquels analyser plus généralement la manière dont la culture féminine trouve à s'exprimer dans une période historique marquée par de fortes mutations et reconstructions, qui impliquent d'importantes variations de leurs rôles sociaux. Par ailleurs, derrière ces fonctions professionnelles, se déploie également un maillage serré de rôles sociaux ou familiaux divers (mères, grand-mères, filles, voisines, etc.).

Ce monde des femmes se construit bien sûr en relation et souvent en opposition avec le monde des hommes, selon des effets de reproduction sociale bien connus. Mais Verdier souligne que la vie de ces femmes ne saurait être décrite comme un ensemble de processus mécaniques aboutissant à un destin inéluctable. Bien au contraire, elle montre que ces existences se construisent aussi de l'intérieur, « comme un univers organisé et régi par ses propres lois ». L'enquête menée à Minot fait en effet émerger des pratiques qui offrent aux femmes l’occasion de conduire elles-mêmes des stratégies de vie. En ce sens, l'espace domestique et féminin constitue un « lieu de souveraineté et d’autonomie des femmes elles-mêmes ».

Déterminisme des corps féminins

Toutefois, si un dicton affirme que les femmes peuvent « faire tout », leur rôle social est fortement déterminé par leur corps et par les fonctions biologiques, notamment de reproduction, qui leur sont assignées. Ainsi, Verdier remarque que les trois figures de la laveuse, de la couturière et de la cuisinière correspondent à des étapes symboliques de la vie des femmes : l'âge de la puberté, où la couture permet de préparer la jeune fille au mariage ; l'âge de la fécondité, où la cuisine permet d'entretenir la vie conjugale ; l'âge de la maturité et de la ménopause, où la lessive permet de gérer les enfants et les grands-parents.

L'analyse de ces trois fonctions éclaire tout particulièrement le rapport aux enfants qui concerne les femmes bien autrement que les hommes, et qui organise leur vie quotidienne. De manière plus générale, Verdier s'intéresse à la manière dont les particularités biologiques des femmes (la procréation mais aussi la menstruation, par exemple), donnent lieu à des apprentissages techniques et culturels, qui impliquent à la fois des relations entre femmes et hommes qu'entre femmes entre elles.

Le cas des règles est à cet égard instructif. Ce sujet, qui est quasiment tabou, constitue toutefois une étape importante dans la construction de l'identité personnelle et sociale des jeunes filles. D'un côté, il permet d'étudier les modalités de la parole des femmes, « parole qui portait sur les pouvoirs singuliers de leur corps ». D'un autre côté, il révèle une série d'interdits qui frappent les femmes et les éloignent de certaines pratiques sociales. L'autrice prend l'exemple de la mise à mort du cochon : ce sont les règles qui déterminent si les femmes ont le droit de participer ou non, de faire le boudin ou non, d’approcher la cuisine ou non, car on leur prête durant cette période du mois certains pouvoirs néfastes pour la qualité de la viande. Le déterminisme biologique qui pèse sur les femmes joue donc un rôle important sur les activités et les rôles sociaux qui leurs sont attribués.

Le tableau que brosse Yvonne Verdier dans cet ouvrage est par ailleurs illustré de nombreuses œuvres photographiques ou picturales (celles de Jean-François Millet, notamment), mais est aussi enrichi de rapprochements avec des œuvres littéraires (L’assommoir ou Au bonheur des dames de Zola, notamment).