Demain, les irlandais auront à se prononcer sur le traité de Lisbonne. La campagne est terminée. Nonfiction se penche aujourd'hui sur le camp du non. > A suivre : Europe de la défense et Irlande.

Qui vote non et pourquoi ?

Le flou technocratique du traité inquiète les classes sociales défavorisées. Les militants des partis de gauche (Labour et Green) se sentent abandonnées par leurs directions. Le manque d'information gêne des journalistes à l'image de Vincent Browne, fondateur du journal culte Village. Le traité n'a pas connu la même communication institutionnelle que la constitution européenne en 2005. Le manque de compréhension est la première cause du vote non d'après un fameux sondage de l'Irish Times du vendredi 6 juin. Les principaux opposants au traité de Lisbonne sont le parti gaëlique Sinn Féin, les courants protectionnistes et conservateurs du Fine Gaël -même si le parti soutient le traité- certains députés et personnalités indépendants et une série de coalition de partis, quelques syndicats et associations du centre libéral à la gauche communiste (UNITE, TEEU, Libertas, Wise Up, Connoly Youth Mouvement, Parti socialiste, etc...). Camp hétéroclite puisque la gauche radicale fait alliance d'intérêts avec la droite nationaliste (anti-immigration) et intégriste (anti-avortement).

En termes politiques, suivant le sondage donnant le non vainqueur et publié vendredi dernier dans l'Irish Times, la progression du non se fait dans le camp du oui. Au sein des électeurs du parti majoritaire, le Fianna Fail, le non est passé de 5 à 25%, le oui de 47 à 42%. A présent, une majorité relative des électeurs du Fine Gaël encourage le non (40% contre 30% pour le oui). Parmi les électeurs travaillistes, le non a presque doublé à 47%, contre 30% de oui.

Pour comprendre les arguments nonistes, la ligne de cohérence se construit sur la confiance et l'indépendance. L'Europe de Lisbonne marginaliserait une Irlande politiquement détruite, économiquement dépendante, fiscalement démunie et militairement commandée.

Au niveau institutionnel, la Commission aurait moins de commissaires que d'États membres dans le but de faciliter son travail. Mais ce qui veut dire aussi que l'Irlande, comme les autres États, n'aurait pas forcément un commissaire. Il faut rappeler que la Commission a pour mission la défense des intérêts de l'Union dans son ensemble et pas de ceux des États membres.

Sur le plan parlementaire, la crainte est que le poids électoral des grands pays d'Europe (France et Allemagne) soit renforcé et celle croissante des pays est-européens réduiraient la force d'opposition irlandaise à celle d'une peau de chagrin (le pays compte moins de 1% de la population européenne). La place du pays dans les prises de décision est une critique récurrente. Ces arguments alimentent la peur d'une rupture du contrat social irlandais. La crainte que la Cour de justice des Communautés européennes -CJCE- n'interprète le droit européen de façon à contrôler certaines législations comme l'avortement, amène l'idée d'une dissolution de l'identité irlandaise dans une Europe lointaine, incomprise et incontrôlable. La pénalisation juridique des mineurs est aussi revenue régulièrement dans le débat.

L'argumentation du Sinn Féin vise une ligne plus indépendantiste. Le parti gaëlique s'appuie sur la défense de la souveraineté nationale mise en cause par la politique européenne de défense et de sécurité commune. Une Europe militarisée peut dissoudre la neutralité irlandaise (valable depuis 1922 et bien ancrée sur le plan culturel) et limiter sa liberté et son influence en matière de capacité d'intervention en opérations extérieures, à l'image des soldats irlandais au Tchad. Le collectif Libertas fait ainsi campagne sur l'idée que ce vote serait la dernière consultation démocratique européenne.

Sur le plan économique, une coalition transpartisane de gauche dénonce les privatisations facilitées, les attaques sur les droits sociaux et les services publics mis sur le marché de la concurrence par Bruxelles. Mais surtout, la polémique fait rage autour de la fin du privilège fiscal irlandais. La faiblesse de l'impôt sur les sociétés (12% contre plus de 30% en moyenne en Europe) est un avantage majeur du pays. Le traité de Lisbonne permettrait, selon les opposants au traité, de déposer un recours contre l'Irlande pour "distorsions de concurrence". Trop faible, le taux d'imposition fiscal devrait alors être redressé, nouvelle agression contre la fiscalité très attractive du pays. Encore une peur infondée puisque l'harmonisation fiscale en Europe est encore loin d'être une réalité.
L'article 207 a été soumis a de nombreuses interprétations. L'enjeu tenant à la souveraineté économique du pays qui passerait sous la coupe du Conseil Européen. La marge de manoeuvre tenant aux "intérêts de l'Union" ne serait pas un gage d'intérêt garanti pour l'Irlande. L'article 176 est lui aussi à double sens, et si certains ont dit qu'il donnait au marché le dernier mot sur la politique énergétique, contrairement à la tradition en vigueur au sein de la Commission européenne, ils laissent en définitive, les pays membres maîtres de "déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques".

Une défaite serait un signe puissant de défiance populaire vis à vis du gouvernement. Le tout nouveau premier ministre Brian Cowen ne démissionnera pas pour autant, il est très soutenu par son gouvernement et la majorité gouvernementale. Un non signifierait en revanche un nouveau coup dur pour la construction européenne.


Petites phrases :

"If you don't know, vote no" (Si tu ne sais pas, vote non).

"Don't be bullied" - (Ne sois pas soumis) - slogan noniste

"Facts, not politics" Slogan de Libertas

"Je ne suis pas euroseptique, je veux une Irlande dans l'Union Européenne mais ayant vécu et travaillé dans l'ex-URSS, j'ai vu comment un gouvernement non représentatif est dangereux. C'est exactement la place prévue par l'Europe pour nous dans le traité de Lisbonne"
                            Dan Glanden, leader et mécène de Libertas

"J'assumerais mes responsabilités" Brian Cowen – Taoiseach (Premier ministre irlandais).



* Dossier réalisé par Matthieu Mallet. Coordination du pôle Europe : Mathias Mégy. Contact : europenonfiction@gmail.com