Dans un récit aussi documenté que poétique, la romancière célèbre la Creuse, berceau de sa famille maternelle auquel elle est restée fidèle.

Le titre de ce beau livre a été suggéré à son auteure par François Nourissier, qui le tenait lui-même de Jean Paulhan, dont l’orpaillage était la passion secrète. Après de multiples succès dans le domaine des romans historiques, le temps était venu pour Françoise Chandernagor de raconter le pays et le paysage de son enfance, où elle a écrit tous ses livres :

« N’était-il pas temps de présenter enfin la Creuse à la France, comme Péguy, en son temps, présenta la Beauce à Notre-Dame-de-Chartres ? Cet Or de la Loire, qui brillait depuis si longtemps dans ma mémoire, me parut enfin à portée de mots. À condition de transformer le titre trop somptueux offert par Paulhan en un plus modeste L’Or des rivières, j’allais oser, sans crainte des quolibets, parler de mon pauvre “paradis”. Un paradis si discret, si loin des villes, des routes et des modes, si oublié de Dieu et des hommes, que ses enfants devaient s’en arracher pour aller au loin gagner leur pain. Là-bas ils bâtissaient les maisons des autres, plâtraient les murs qu’on recouvrirait ensuite de stucs dorés, mais eux savaient où était caché l’or vrai, et ils se promettaient qu’un jour […] ils reviendraient vers leurs landes familières, reviendraient dans leur village sans route, perdu entre Limoges et Clermont, pour y contempler chaque été, et jusqu'à en être aveuglés, les paillettes de soleil que nos vents fous arrachent aux rivières. »

Une écriture de soi ouverte au monde

Dans ces Mémoires, genre qu’elle n’avait encore jamais pratiqué, l’auteure ne s’enferme pas dans l’histoire de sa famille, marquée par de nombreux accidents, ni dans l’hommage à ceux et celles qui l’ont précédée, et notamment son grand-père. Elle livre également des considérations sur le monde actuel, critique les Zadistes qui se comportent comme de nouveaux barbares et évoque souvent le « Grand Réchauffement » qui met en péril les étangs et les arbres tant aimés.

Dans son enfance, avant chaque départ vers la région parisienne, à la fin de l’été, elle embrassait un chêne comme pour promettre son retour dans ces paysages où elle était si heureuse. Elle excelle dans les anecdotes. Comment sa mère s’y prit-elle pour annoncer à la femme du préfet, en visite dans la famille d’un député (le père de l’auteure), qu’il n’y avait pas de toilettes dans la maison ?

Elle s’interroge sur la méritocratie républicaine, dont elle est un très brillant produit, comme son père avant elle. Elle se demande si nous sommes capables de vivre dans la diversité, quand elle pense aux relations difficiles entre les habitants de régions aussi voisines que la Haute-Marche et le Berry… Elle critique la mondialisation qui détruit la biodiversité et elle refait pour ses lecteurs le long chemin vers la bourgeoisie d’une famille de maçons, comme il y en eut tant dans le Creuse, migrants, avant que le terme ne prenne le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. L’histoire familiale croise la grande Histoire, si bien que l’intime n’est jamais loin du politique.

Hommage à « la bonne dame de Nohant »

Ce très beau livre semble se placer sous la protection de George Sand, dont l’auteure a visité ou fait visiter la maison plus de soixante fois ! « Si elle revenait, […], je l’accueillerais à Verneige, dans mon île au milieu des bois. Assises au bord tranquille de l’étang, nous médirions de Paris, cette ville arrogante qui, disait-elle, “absorbe tout, les finances et les énergies”. […] Nous travaillerions au même rythme – écrivant la nuit et dormant le jour, car, au sein d’une famille nombreuse, j’ai moi aussi cherché très tôt la solitude des nuits pour écrire.  Nous ne recevrions personne. […] Nous écouterions du Liszt et du Chopin, nous ramasserions des plantes ; je n’ai jamais fait d’herbier, elle m’enseignerait la botanique ; je lui apprendrais un peu d’histoire et d’archéologie ; puis avec elle, comme elle, je constaterais : “Ce n’était pas la peine de quitter la terre natale pour ‘arriver’, puisque ‘arriver’, pour nous, c’est toujours revenir” », comme l’écrivit George Sand à Gustave Tourangin dans les Nouvelles lettres d’un voyageur.

Un des plus beaux chapitres s’intitule « Des arbres, des livres, des enfants », mot attribué par la romancière, dans L’Allée du roi, à Madame de Maintenon tentant « de définir les conditions de son bonheur à Saint-Cyr », et que beaucoup ont cru authentique, à tel point qu’il est repris aujourd’hui dans de sérieux ouvrages historiques… « Je lui attribuais mes propres sentiments, mais je ne sais toujours pas dans quel ordre, croissant ou décroissant, je plaçais ces éléments constitutifs de ma propre félicité. » Ce jeu de réversibilité entre l’autobiographie et la fiction romanesque compte parmi les nombreux charmes de ce livre si plaisant et si riche, d’une auteure au sommet de son art.