Une étude sociologique fine du phénomène de « camping résidentiel », cette forme de mal-logement qui constitue, pour une fraction des classes populaires, une alternative à la propriété immobilière.

Au cœur des préoccupations sur la « question sociale » qui a mobilisé les économistes au XIXe siècle, Friedrich Engels avait identifié, dans un ouvrage éponyme, la « question du logement » (1872). Cherchant les causes et les remèdes à la misère sociale des travailleurs, il se penchait sur le cas particulier des conditions de logement des classes ouvrières en Angleterre. Les grands romans du XIXe siècle ont également décrit les conditions de mal-logement dans lesquelles vivaient les membres des classes populaires. Qu’on songe à Balzac, à Sue, à Dickens, tous ont dépeint les grandes inégalités sociales dont le logement est le miroir.

C'est à un questionnement similaire mais actualisé que le sociologue Gaspard Lion, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord, a consacré sa thèse, dont est tiré l'ouvrage qui paraît aux éditions du Seuil. Depuis les années 2000, en effet, le contexte d’envolée des prix de l’immobilier et de difficultés d’accès au logement social — sans parler de la propriété — n'a fait qu’accroître le nombre de personnes sans-logis ou mal-logées et aggraver la crise du logement en France. Dans ce contexte, l’auteur a enquêté pendant 4 ans sur une forme particulière du mal-logement en France : celle qui conduit une fraction des classes populaires à se tourner vers le camping pour en faire son domicile. La fréquentation, sur le temps long, d’habitants des campings mais aussi de gérants, d’associations ou encore d’élus locaux ou de travailleurs sociaux, a permis de mettre en lumière ce phénomène social nouveau et peu documenté jusqu’à présent.

Le camping comme lieu et milieu

L'enquête de Gaspard Lion se porte donc sur un usage particulier du camping, celui qui peut être qualifié de « résidentiel », c'est-à-dire lorsque les individus l’investissent en tant qu’unique domicile et de manière continue, tout au long de l’année. Le recours au camping constitue dans ce cadre une alternative à la maison individuelle (devenue inaccessible) tout en évitant le dénuement extrême de la rue. Il figure toutefois un déclassement subjectif et objectif, dont les interviews rapportées dans l'ouvrage font largement état.

Contrairement à l'image idéalisée et positive dont bénéficie le camping, le plus souvent associé aux vacances, ce type de logement ne résoud pas les difficultés sociales auxquelles font face les individus ou les familles qui y recourent de manière résidentielle. L'auteur souligne en effet la grande précarité de cette situation : il s'agit d'un habitat à faible droits, susceptible de délogements et soumis à des menaces d'expulsions, incitant les habitants à élaborer des stratégies de résistance.

Pour autant, l'auteur refuse comme un principe méthodologique de lire dans cet espace un reflet immédiat et mécanique de la structure sociale. De même, il entend contribuer à la connaissance du mal-logement tout en dépassant le point de vue misérabiliste et souvent populiste porté sur l’habitat des classes populaires.

Il met ainsi en évidence la manière dont l'espace de résidence — en l'occurrence, le camping — produit des effets en retour sur la formation des styles de vie et des cultures des individus qui l'investissent — en l'occurrence, les classes populaires. Le camping permet notamment d'instaurer un entre-soi social relativement préservé des rapports de classe et des violences qui s’exercent dans les autres sphères de l’existence, et notamment dans la sphère professionnelle. En ce sens, il contribue à construire les relations qui participent à la socialisation des individus.

Une enquête ethnographique

Afin de rendre compte de ces différents aspects, l'approche ethnographique adoptée par l'auteur se révèle précieuse : plutôt que de produire des statistiques économiques et des chiffres bruts (qui traduisent bien l’ampleur du phénomène, mais qui masquent les processus spécifiques et les trajectoires individuelles), Gaspard Lion rapporte des témoignages en première personne, qui introduisent de la nuance. Ils soulignent notamment la diversité interne à la catégorie de « classe populaire » concernée par cette forme de mal-logement et les mobilités sociales qui la travaillent.

Se trouvent ainsi détaillées les différentes expériences du camping résidentiel et analysée la variété des emplois, des niveaux d’étude ou encore des traits culturels de ceux qui les vivent. L'auteur décrit avec une grande précision les caractéristiques qui conduisent à cette situation et les habitudes qui permettent de se familiariser avec elle.

Cette méthode fait également apparaître la complexité des processus qui y aboutissent. Héritière du modèle des trailer parks et des mobil-home américains, la pratique du camping résidentiel s'inscrit cependant, en France, dans le contexte d'ouverture du marché de la propriété ouvrière qui s'est édifié progressivement. Ainsi, les campings étudiés dans cette enquête se rapprochent de l’image du logement standardisé et des lotissements résidentiels.

Ce travail sociologique permet finalement une large compréhension de ce phénomène social négligé, lequel témoigne d'une crise importante des politiques du logement en France.