« Divorce à l'anglaise », écrit en 1936 par Margaret Kennedy, romancière britannique alors très célèbre, est un petit bijou d’humour acide et de psychologie.

Betsy Canning a trente-sept ans, un mari, Alec, librettiste d’opérettes reconnu, et trois enfants. Malgré ce tableau apparemment idyllique et sa richesse, elle n’est pas heureuse et décide de se séparer de son époux. Mais en 1936, la société anglaise est encore frileuse au sujet du divorce. Margaret Kennedy (1896-1967), auteure de romans qui connurent un grand succès à l’époque, comme La Nymphe au cœur fidèle ou Le Festin, et d’une biographie de Jane Austen, excelle dans la description de la bonne société anglaise aux prises avec ce qui apparaît vite comme une forme de scandale.

Un portrait de la bonne société anglaise de lEntre-deux-guerres

Le roman s’ouvre sur une lettre de Betsy à sa mère, Mrs Hewitt, pour lui annoncer ce divorce à venir, et lui demander de ne pas s’en mêler. Mais rien ne se passe comme prévu. La mère de Betsy décide de quitter la Suisse, où elle séjourne avec son mari, pour rentrer d’urgence en Angleterre, et empêcher ce divorce. Le couple va alors subir l’ingérence de ses proches, famille ou amis, à commencer par la mère d’Alec, Emily Canning, terriblement manipulatrice. Les plans de bataille se mettent en place, les quiproquos s’enchaînent, et chacun, enfant comme adulte, ami ou simple connaissance doit choisir son camp. Le roman, dont le titre original est Together and Apart, est remarquablement bien construit et adopte le point de vue des différents personnages, dont il dénonce souvent le snobisme et le caractère très velléitaire. Mais la romancière n’oublie pas pour autant la situation préoccupante du monde à cette époque. C’est ainsi qu’Alec a prêté un pavillon près de sa maison à un couple de réfugiés juifs allemands, les Bloch, qui vont jouer leur rôle dans la dégradation des relations du couple :

« Bloch parlait. Un long monologue, d’une voix qui semblait courroucée. Joy crut y entendre plusieurs fois son nom. Ces rustres parlaient d’elle ! Et puis elle entendit distinctement “Lord St Mullins”. C’étaient d’horribles individus, sinistres, pleins de méchanceté. C’étaient des étrangers. »

Un humour tendre et acide au service d’une fine psychologie

La citation qui figure sur la quatrième de couverture résume bien l’humour savoureux de ce roman très agréable à lire : « Il lui semblait qu’il y avait de nombreux points communs entre le divorce et le mariage : les parents risquaient de se vexer qu’on ne le leur annonce pas à l’avance. »

Cet humour ne va pas sans une forme de mélancolie, car la vie humaine est « l’œuvre du temps », comme l’indique le beau titre de la dernière partie du roman. On y voit Alec observer sa fille Eliza, qui vient de saluer Mark, dont elle est amoureuse et qui part pour deux ans à l’armée, en promettant de l’épouser ensuite :

« Son visage, au clair de lune, lui paraissait étranger et cependant familier ; il eut le sentiment de l’avoir déjà vu, quand il était jeune, lui aussi, ne connaissait rien et tenait pour acquise la lumière du paradis. Et ce soir-là, des années plus tard, il revit ce visage, ce visage légendaire du bonheur, tourné vers le ciel serein, jusqu’à ce qu’elle le dépasse, et disparaisse. »

La complexité des sentiments de tous les personnages affleure sans cesse, grâce à la finesse d’observation de la romancière, qui nous fait entrer dans la conscience de ses personnages avec une subtilité qui conjugue émotion et drôlerie. C’est pourquoi il faut sans doute saluer également toutes les qualités de la traduction, qui fait entendre les nuances les plus infimes de ce roman décidément très réussi.