Geneviève Haroche-Bouzinac narre la vie de la célèbre épistolière en inscrivant son histoire dans celle du dix-septième siècle.

Cet ouvrage de Geneviève Haroche-Bouzinac retrace la vie de Madame de Sévigné. Riche en détails et en anecdotes, il prend appui sur de nombreux extraits de la correspondance. La perspective est à la fois chronologique et thématique : chaque chapitre met en lumière un problème particulier, s’attache à en dépeindre les tenants et aboutissants.

De Paris à la solitude des Rochers

Petite-fille de Jeanne de Chantal, fondatrice de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie, Marie de Sévigné est orpheline à onze ans. C’est donc la famille de Coulanges — du côté maternel — qui pourvoit à son éducation. Elle conservera des liens d’attachement durables avec ses membres, et notamment avec l’abbé Christophe de Coulanges, surnommé le « Bien Bon » dans ses lettres. Ayant échappé au couvent, Marie bénéficie d’une éducation assez libre. Dans le quartier de la place Royale, au théâtre du Marais, on joue Corneille. Elle a peut-être assisté aux premières représentations du Cid. L’académicien Chapelain est proche de sa famille et l’initie aux belles-lettres ; par la suite, il sera régulièrement présent à la table des Sévigné.

Marie attire plusieurs prétendants. Elle épouse Henri de Sévigné, qui possède des terres en Bretagne : Les Rochers. Elles deviendront pour l’épistolière un refuge. Elle y séjournera régulièrement, notamment lorsqu’elle aura besoin de réduire ses dépenses. Mais Henri n’est pas un mari fidèle. Il entretient des liaisons coûteuses, d’abord avec Anne de Lenclos, surnommée Ninon, puis avec Madame de Gondran, qui raffole des pierreries. Sa liaison avec cette dernière le pousse à se battre en duel contre le chevalier d’Albret, qui le tue. Marie est alors veuve. Elle sera courtisée par Abel Servien, surintendant des Finances, par le prince de Conti, par Turenne et par Nicolas Fouquet (lui aussi surintendant des Finances), mais renoncera à tout remariage, peut-être parce qu’« une femme sous l’Ancien Régime risque sa vie à chaque grossesse » — c’est ainsi, par exemple, que l’épouse de son cousin Bussy-Rabutin a trouvé la mort — ou parce que le statut de veuve est enviable à l’époque. À soixante-deux ans, elle refuse encore la proposition de mariage de Louis-Charles de Luyne, pourtant un bon parti.

Écrire dans un monde instable

L’ouvrage s’intéresse de près au contexte politique dans lequel Madame de Sévigné a composé son œuvre. Les débuts de sa correspondance sont en effet contemporains de la Fronde (1648-1653). Marie est liée à plusieurs frondeurs, notamment à Paul de Gondi, le cardinal de Retz — arrêté en 1652, il est conduit à la prison de Vincennes, puis à la forteresse de Nantes, dont il s’évadera en 1654. Elle échappe toutefois aux exils qui frappent certains de ses proches, comme la « Grande Mademoiselle », la fille de Gaston d’Orléans, et ne tombera jamais en disgrâce. Malgré l’agitation politique, elle figure ainsi parmi les invitées du « Grand Divertissement royal de Versailles ».

Dans le sillage de la Fronde, d’autres événements politiques s’invitent dans la correspondance, comme l’arrestation du surintendant Fouquet (en 1661), victime des manœuvres de Colbert. On découvre chez lui un coffret de lettres, parmi lesquelles figurent des missives de l’épistolière. Cette dernière s’alarme : elle craint les mauvaises interprétations que l’on pourrait faire de ses écrits. L’épisode s’achève bien, mais révèle les risques de l’écriture épistolaire au XVIIe siècle.

Marie de Sévigné doit aussi compter avec les caractères qui l’entourent. Bussy-Rabutin, son cousin, irrite le roi par sa conduite à la « soirée de Roissy », où il fait preuve d’impiété, et par les anecdotes scabreuses qu’il narre sur la vie à la cour. Il n’obtiendra jamais les faveurs royales. La cour tout entière est un lieu d’intrigues et de séduction, où il faut se montrer avec prudence. Ainsi, lorsque Françoise, la fille de Madame de Sévigné, danse aux côtés du Roi lors du Ballet des arts (1663) ou du Ballet royal des amours déguisés (1664), l’épistolière se montre perplexe. En effet, « ces ballets sont un jeu de cache-cache où le Roi expose et dissimule sa vie sentimentale. Y apparaissent […] celles qui l’attirent, celles dont il espère des faveurs ». Marie de Sévigné sait qu’il est important de se ménager les bonnes grâces du Roi, mais elle « appréci[e] peu de se trouver au milieu de la foule ».

Au fil des rencontres

Si Madame de Sévigné est célèbre pour ses lettres à sa fille, Madame de Grignan, envers laquelle elle éprouve un amour hors du commun, d’autres correspondants ont une place de choix dans l’ouvrage. Geneviève Haroche-Bouzinac s’attache à montrer combien sa vie prend place dans un réseau complexe de relations familiales et amicales.

Certes, si la vie de l’épistolière était un roman, Madame de Grignan en serait l’héroïne. Née en 1646, Françoise est la fille adorée de l’épistolière. Son mariage avec le comte de Grignan sépare les deux femmes ; à chacun de ses départs pour la Provence, à chacune de ses grossesses, Madame de Sévigné éprouve pour sa fille une vive inquiétude. L’année 1671 marque de ce point de vue un tournant. Après le départ de Françoise, Madame de Sévigné est livrée à la solitude : « elle pleure tout le jour », « elle souffre de ses idées sombres qu’elle nomme familièrement ses ‘‘dragons’’, comme pour les apprivoiser ». D’autres départs déchirants auront lieu, comme celui de l’année 1675. Les deux femmes peuvent s’écrire régulièrement, à chaque « ordinaire », grâce à la réorganisation du fonctionnement postal qui vient d’avoir lieu sous l’égide de Louvois, en 1668. Madame de Grignan lit parfois en public les lettres de sa mère, par exemple celles qui ont trait à la mode parisienne. Plusieurs sont ainsi consacrées à la coiffure à la hurluberlu. Mais leur relation est aussi faite de mésententes. Marie a été une mère brillante, qui a peut-être éclipsé sa fille en voulant la préserver des dangers de la cour. Il semble que Françoise lui en tiendra parfois rigueur. L’épistolière se désespère que sa fille ne suive pas ses conseils : en vain lui recommande-t-elle de faire chambre à part pour ne pas tomber enceinte, ou de réduire son train de vie. Elle ne comprend pas toujours ses choix, notamment en ce qui concerne l’éducation de sa fille Marie-Blanche. De fréquentes querelles éclatent entre mère et fille lorsque Françoise séjourne à Paris.

Mais Françoise n’est pas la seule correspondante de la marquise. Geneviève Haroche-Bouzinac consacre aussi de nombreuses pages à Bussy-Rabutin, son cousin. Avec lui, elle « rabutine ». Rabutiner consiste à « jouer avec le double sens des mots », à « rétorquer vivement », à « faire du langage un jeu ». Charles, fils aimé et aimant, occupe également une place de choix dans la vie de l’épistolière. Madame de Sévigné narre avec empathie ses déboires avec Ninon de Lenclos ou la Champmeslé. Mère et fils lisent à voix haute, commentent les opéras qu’ils ont vus, et se moquent des indélicates qui leur rendent visite. Charles est très présent pour sa mère lorsqu’elle tombe malade, atteinte de rhumatismes. Marie, en retour, l’aide à se tirer d’embarras lorsqu’il souffre de ce qui semble être la syphilis.

Madame de Sévigné et les beaux esprits de son temps

Enfin, Geneviève Haroche-Bouzinac s’intéresse à l’influence du contexte culturel sur l’écriture des lettres. Marie de Sévigné a en effet fréquenté les beaux esprits de son temps. Liée à Chapelain, elle a peut-être rencontré par son intermédiaire le grammairien Gilles Ménage. Elle a fréquenté le salon tenu par Arthénice, c’est-à-dire Madame de Rambouillet. Elle-même réunit des écrivains chez elle, à commencer par Madame de Lafayette, son amie fidèle et sa parente. Elle est également proche de Mademoiselle de Scudéry.

Cette activité intellectuelle ne l’empêche pas d’aimer la solitude. Elle se rend fréquemment chez son oncle Christophe, à l’abbaye de Livry. Plus les années passent, plus elle se plaît aux Rochers. Elle y fait aménager un labyrinthe et se promène avec délice dans son jardin, ce qui lui permet d’échapper aux visites importunes — notamment à celles de la bavarde Mademoiselle du Plessis. Pour autant, les Rochers ne la coupent pas du monde. Dans cette solitude, Madame de Sévigné écrit et lit beaucoup.

L’écriture devient pour l’épistolière une nécessité. Elle apparaît comme le prolongement naturel de l’art de la conversation. Madame de Sévigné se fait chroniqueuse lors du procès de Fouquet, commente les parutions — comme celle de La Princesse de Clèves —, narre aussi de menus faits du quotidien, qu’elle nomme des « pauvretés ». Les questions médicales ont une place importante dans ses lettres.

Ainsi, Geneviève Haroche-Bouzinac rend hommage à l’originalité de son œuvre et à la diversité de ses préoccupations. Elle offre également dans cette biographie de précieux repères aux lecteurs de Madame de Sévigné, en leur permettant de mieux comprendre les allusions qui se glissent sous sa plume. Rédigé dans un style enlevé, Madame de Sévigné donne vie à l’Histoire. On y apprendra beaucoup sur la société du XVIIe siècle. L’autrice use de moyens originaux pour capturer l’époque : elle commente par exemple plusieurs portraits de Madame de Sévigné, les interprétant à la lumière des événements qu’elle narre. L’index, la chronologie et les listes présents à la fin du livre aideront le lecteur peu familier des lettres à se repérer dans la nébuleuse des liens qui unissent Madame de Sévigné à son entourage.