Dans un livre étonnant Beuret et Michel, tous deux journalistes, révèlent les succès mais aussi les ambiguïtés de la présence chinoise en Afrique.

* Nous publions cette critique avec l'aimable autorisation de LeCourant.info.

C’est un travail passionnant auquel ont abouti Serge Michel, journaliste au Monde, et Michel Beuret, journaliste au magazine suisse L’Hebdo, utilement agrémenté de photos de Paolo Woods. L’ouvrage se divise en douze chapitres, douze thèmes dont une myriade d’histoires particulières mettent en exergue un aspect spécifique de la présence chinoise en Afrique : relations diplomatiques, exploitations des ressources, vente d’armes, tout y passe. Beaucoup de place est laissée au témoignage, à l’observation des conditions matérielles de cette présence, peut-être trop, au regard des rares analyses des dynamiques à l’œuvre dans ce procès.

La Chinafrique est une histoire, qui, si elle trouve des fondements au XVe siècle, se développe surtout depuis le XIXe siècle et plus encore à partir de 1980. Depuis cette date le commerce bilatéral entre les deux régions a été multiplié par cinquante. Il a quintuplé entre 2000 et 2006, pour passer de 10 à 55 milliards et devrait atteindre 100 milliards en 2010 (les auteurs ont omis de préciser s’il s’agit de dollars ou d’euros), alors que 900 entreprises chinoises sont installées sur le sol africain et que la Chine occuperait la place de second partenaire commercial de l’Afrique derrière la France.

Comme la présence française, la présence chinoise se caractérise par et révèle de nombreuses ambiguïtés : ambiguïté de l’exploitation des ressources, ambiguïté du rôle de l’État, ambiguïté de la posture occidentale pour finir. Mais elle est aussi porteuse d’un incroyable potentiel pour le continent le plus pauvre du monde.


De l’exploitation des ressources comme potentiel de développement

Le principal objectif de la Chine en Afrique est l’exploitation des importantes richesses du continent : bois, pétrole, uranium, ou ivoire par exemple, mais aussi ses ressources humaines. La Chine s’emploie à former, à développer, et à relancer avec succès l’industrie africaine, là où l’Occident a échoué. En témoigne l’usine de biscuits Newbisco à Lagos. Créée par des britanniques, elle est en faillite en 2001. Depuis sa reprise par des chinois, sa production atteint 70 tonnes de biscuits par jour, ce qui ne couvre qu’un pour cent des besoins du marché local, une success story parmi d’autres.

Le rythme d’expansion chinois nécessite l’aventure africaine. Et lorsque la Chine obtient les contrats, la nature en paye parfois le prix, tout comme, dans certains cas, les populations locales, comme en témoigne l’échange pétrole contre armes avec le Soudan, alors que ce sont des kalachnikovs chinoises qui sont retrouvées au Darfour. Du reste, l’exportation des ressources naturelles se fait contre l’importation de produits manufacturés de Chine. Biens de pacotille qui représentent, à terme, un risque pour le continent africain s’il ne parvient pas à renverser cette tendance et promouvoir le développement de termes d’échanges allant en sa faveur.

À ces égards, au sud rien de nouveau, mais il ne faut pas voir derrière ce processus le même automatisme tragique africain. Derrière la présence chinoise en Afrique se cache un potentiel de développement que les leaders africains ne peuvent se permettre de gâcher et c’est du caractère de l’État dont dépend l’avenir du continent.


L’État : clé du succès chinois, espoir africain

Tout au long du livre, en filigrane, se profile l’activité d’un État chinois qui agit en tant que canalisateur de l’expansion en Afrique. D’un rapport régulier sur la Chine en Afrique publié par l’agence de presse étatique Chine Nouvelle, au développement de structures institutionnelles ad hoc (Exim Bank of China, China International Fund, ainsi qu’une myriade d’entreprises de construction), en passant par les relations diplomatiques via la création de sommets Chine-Afrique, l’État chinois est partout. Il guide le secteur privé, corrige la donne lorsqu’il le faut, saisit les opportunités laissées par les Occidentaux et sécurise ses intérêts.

À l’État africain de s’inspirer de cet exemple. La demande chinoise constitue pour lui une opportunité unique, peut être la dernière à cette échelle, de canaliser une présence étrangère prête à faire des concessions. Au fil des pages, l’État africain semble au contraire être dépassé par les évènements, enfermé dans des conflits d’intérêts alors qu’il semblerait avoir tout à gagner de l’adoption d’une attitude proactive en vue d’échapper à cette contradiction court terme long terme. Un chapitre sur la corruption des élites incite à penser que certains États africains feraient bien de discipliner leurs élites, ce qui fut une des clés de la réussite de la Corée du Sud ou de Taiwan durant l’après-guerre.

La Chine semble être prête à accepter les règles de ce jeu, ayant accepté à plusieurs reprises les conditions posées par les États africains ; conditions que les Occidentaux balayent systématiquement d’un revers de main, préférant imposer aux États africains les leurs.


Ambiguïté du rôle et de la présence de l’Occident

Que ce soit du point de vue du commerce, de l’influence politique mais aussi de celui de l’influence culturelle et linguistique, la France est partout en déclin en Afrique, si bien que Michel et Beuret parlent d’une Chine "enterrant" la Françafrique. Enfermée dans une position ambiguë entre condamnation de certains autocrates au nom de la démocratie mais aussi soutien subreptice à d’autres, afin de sécuriser ses intérêts, la France symbolise l’échec de l’Occident. Celui-ci est aussi passé par le choc des programmes d’ajustement structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale à partir des années 1970. Dans certains cas, ceux-ci ont eu des conséquences catastrophiques pour les pays cibles qui ont vu leurs marchés pillés par les Occidentaux.

La Chine, elle, ne fait pas de manières. Point d’imprécations à l’égard des dirigeants africains, point de leçons à donner, les Chinois investissent, mais aussi s’investissent dans une discrète révolution industrieuse. Face au souvenir de coloniaux ne mettant que rarement la main à la pâte, les Africains voient débarquer des ouvriers chinois travaillant jusqu’à six fois plus qu’eux, et pour le même salaire. Là où les Occidentaux ne faisaient qu’extraire, les Chinois, eux, construisent. La Chine aurait même apporté de la stabilité à certaines régions alors que les auteurs parlent de l’établissement d’une pax sinica.

La présence chinoise n’est pas non plus sans créer de problèmes. De nombreuses allégations de mauvais traitement et d’exploitation des ouvriers africains, à une nécessité d’assurer la continuité de son développement à tout prix, la Chine pourrait bien capoter en Afrique. Le raté angolais, d’où l’État a forcé la Chine à se retirer parce qu’elle se focalisait trop sur l’extraction et pas assez sur le développement local, en fournit un bon exemple. À long terme, le problème évident et inévitable réside dans l’inégalité des termes d’échanges entre le continent et la Chine. Jusqu’à quel point l’exportation de ressources naturelles contre l’importation de biens manufacturés constituent-t-elles un schéma d’échange soutenable ? De la réponse à cette question dépend l’avenir de l’Afrique que la Chine force à intégrer dans le processus de mondialisation.


Perspectives mitigées

Au final, la Chinafrique présente un potentiel de développement inouï pour l’Afrique si celle-ci parvient à se saisir de cette opportunité par le biais de l’État. La Chine a trop besoin de ces ressources pour se permettre de sourciller. Alors que l’Occident se déclare peu à peu hors jeu, ou tout du moins voit son influence diminuer, les conditions sont réunies pour que l’on assiste à un exercice réussi de mondialisation.

Reste à savoir à quel type de développement les Africains veulent-ils prendre part. La modernisation doit-elle s’imposer comme une fin en soi ? Face à l’ambivalence des réponses que l’on pourrait apporter à cette question se dresse l’inévitable nécessité de résoudre certains problèmes structurels du continent et de ce point de vue, la Chinafrique porte en elle les germes d’un succès africain aussi bien que chinois à condition, que de part et d’autre, l’on fasse preuve de responsabilité. Dans cette optique, l’Afrique reste un enjeu occidental du point de vue idéologique. Sa conversion en pratique est-elle possible ? L’expérience incite à rester dubitatif.