Le sociologue Gérald Bronner revient sur les superstitions de son adolescence afin de rendre compte de sa curiosité scientifique pour les croyances et du pouvoir d'élucidation de la sociologie.

Le nouveau livre du sociologue Gérald Bronner est cette fois un récit autobiographique, parfois amusant, souvent émouvant. Gérald Bronner est connu comme un pourfendeur des croyances fausses. Ce récit éclaire les raisons de son intérêt pour cette question.

On l’y découvre en adolescent issu d’un milieu populaire, à Nancy dans les années 1980. Apprenti délinquant, féru d’arts martiaux (de taekwondo) et, ce qui est plus orignal, attiré par le paranormal et la symbolique ésotérique. Instruit en ces matières par un oncle, qui aura vécu toute sa vie reclus, il deviendra l’un des leader d’un groupe, qui comptera à la fin des années 1980 jusqu’à une soixantaine de jeunes illuminés, entretenant des rêveries millénaristes et prêchant la révolution pacifique.

Il connaîtra ensuite une lente conversion à la rationalité, opérée grâce à la sociologie, où il s’était pourtant engagé au départ avec l’idée de trouver à ses croyances un fondement objectif. Le déclic viendra, explique-t-il, d’un mémoire de maîtrise sur les superstitions, « la forme la plus épurée de la crédulité », pour lequel il s’était inscrit à l’université de Grenoble dont l'éloignement aura sans doute favorisé cette conversion. La conversion de son regard naît aussi, à cette occasion, de la découverte que les rituels ésotériques n’étaient qu’un prolongement de la volonté, quelque peu pathétique, de plier le monde à ses projets en situation d'incertitude.

L’approfondissement de ses réflexions allait finalement le conduire à remettre en cause son attirance pour le paranormal au terme d’un long parcours, qui a duré encore plusieurs années, émaillé d’expériences sur les rêves conscients (ou rêves lucides), et alors qu’il se familiarisait, pour sa thèse consacrée aux décisions face à l’incertitude, avec l’existence des biais cognitifs et avec la sociologie du même nom. Finalement, ce n'est qu'après avoir commencé à enseigner à Grenoble, puis à Nancy, et à écrire ses premiers livres, qu'il finit de se convaincre que les coïncidences que l’on peut rencontrer dans sa vie ne sont le signe de rien du tout.

Il n’est pas rare qu’une œuvre de sociologie soit construite autour de questions qui trouvent leur source dans les expériences de vie de son auteur. Gérald Bronner avait déjà dit qu’il ne s’était pas intéressé aux croyances fausses par hasard, mais on ignorait jusqu’ici la mesure et les circonstances dans lesquelles il avait manqué de s’y noyer. Ce livre vient combler ce manque, mais donne plus largement à voir comment des croyances fausses peuvent coloniser un esprit et combien il est difficile ensuite de s’en déprendre.

On notera la place que tiennent des amitiés fortes dans ce récit, que l’auteur dépeint comme autant d’occasions de rêver à plusieurs. Avant que les imaginaires, et bientôt les carrières, des uns et des autres suivent des pentes différentes. Certains de ces amis conserveront une place au merveilleux dans leur vie, les autres non. Ce qui ne les empêchera pas de se retrouver et de rire encore, le plus joyeusement du monde.