Avec « Dernière visite chez le roi Arthur », l'historien Michel Pastoureau revient sur la parution de son premier livre en 1976, et plus largement, sur sa carrière et les évolutions de la recherche.

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On ne présente plus Michel Pastoureau. L’historien, aujourd’hui à la retraite, s’est rendu célèbre auprès du grand public pour ses travaux sur la symbolique des couleurs et des animaux à l’époque médiévale. Il a aussi travaillé, au sein de l’École Pratique des Hautes Études et de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, sur l’héraldique et, plus largement, sur la symbolique médiévale.

Dans Dernière visite chez le roi Arthur, ce ne sont pourtant pas ces éléments qui sont au cœur du propos (sans en être absents pour autant). Le sous-titre, « Histoire d’un premier livre », annonce l’ambition de ce curieux projet : Michel Pastoureau revient sur le processus d’écriture et de parution de La Vie quotidienne en France et en Angleterre au temps des chevaliers de la Table ronde, paru en 1976 chez Hachette.

Publier en 1976

Michel Pastoureau raconte, avec quelques anecdotes sur sa phobie du téléphone, comment, jeune diplômé de l’École des Chartes, il s’est attelé à ce premier ouvrage. Le lecteur est plongé dans le milieu de l’édition au mitan des années 1970, il découvre aussi la facilité avec laquelle Pastoureau a pu trouver sa place dans la prestigieuse collection de « La vie quotidienne ». L’auteur retrace ses mois d’écriture à la bibliothèque de l’Hôtel national des Invalides et l’on apprend ainsi que ce livre, comme les dizaines d’autres qui ont suivi, a été tapé par le seul index gauche de l’historien ! Il raconte avec horreur la machine à écrire défectueuse et l’écart important qui existe entre ce que le livre aurait pu être (s’il avait eu le courage de réécrire les pages insatisfaisantes) et la version imprimée, « évidemment pas la meilleure ».

Après l’écriture vient la rencontre avec les éditeurs. Pastoureau en profite pour régler quelques comptes. Il rappelle sa surprise d’avoir été accueilli d’abord par un simple préparateur de manuscrit au dernier étage d’un immeuble du boulevard Saint-Michel. Le préparateur se révèle charmant et lui enseigne quelques règles typographiques que Pastoureau se targue d’avoir toujours respectées. En revanche, le directeur de la collection, un certain monsieur S***, rencontré un peu plus tard, en prend pour son grade : « vêtu comme un ministre en mission officielle », accompagné d’un « lévrier d’une maigreur inquiétante mais à la robe grège magnifique », il se révèle d’une inculture crasse et, comble du ridicule, il n’a pas lu le livre de notre jeune auteur à qui il fait modifier ses titres.

Vient ensuite le moment tant attendu, et un peu décevant, de la parution. « Il n’y eut ni petite fête, ni retrouvailles, ni entretien quelconque, pas même un service de presse ou quelques exemplaires à signer. » La réception de cet ouvrage de « haute vulgarisation » n’est pas négative, même si l’on reproche à Pastoureau d’avoir publié dans une collection salie par le nom de Jérôme Carcopino, historien de la Rome antique mais surtout ministre vichyste et pétainiste convaincu. L’historien raconte aussi ses angoisses devant le rituel des dédicaces et l’envoi à des personnages importants qui ne liront pas une ligne. Trois recensions paraissent et l’on découvre « une blague de potache » : la Bibliothèque de l’École des chartes ayant confié la recension du livre à un ami de Pastoureau, ce dernier se propose de l’écrire et de laisser son ami le signer   . Il en profite pour régler ses comptes avec les idées qui lui ont été imposées par l’arrogant monsieur S***.

Le livre est ensuite traduit dans une dizaine de langues et reçoit le prix Broquette-Gonin – « un nom si insolite, pour ne pas dire burlesque », que Pastoureau n’en a jamais fait état dans la liste de ses récompenses. Cela lui vaut aussi de conseiller Rohmer pour son film Perceval (1978), sans que le réalisateur ne tienne compte de ses remarques et recommandations. Bientôt, Pastoureau est invité à présenter son livre, ce qui occasionne quelques déconvenues, voire de franches hostilités de la part de personnes qui s’attendaient à des conférences sur l’ésotérisme, sans parler des militants de la cause bretonne qui hurlent au scandale lorsque Pastoureau rappelle que « l’hermine n’avait à l’origine rien de breton ».

Bref, malgré ce qu’affirme l’auteur avec une modestie peut-être un peu convenue, son premier livre est loin de ne faire aucun bruit et de ne connaître aucune réception.

Au-delà du premier livre

À partir de là – nous sommes entre le tiers et la moitié de cette Dernière visite – Michel Pastoureau s’éloigne quelque peu de son objet initial et se met surtout à commenter ses pratiques de travail et l’évolution générale de l’environnement de la recherche. Il raconte quelques conférences ratées parce qu’il s’est trompé de sujet, quelques colloques un peu trop longs, quelques invitations qu’il n’a pas osé refuser.

S’ensuivent deux chapitres où Pastoureau revient plus en détail sur la société médiévale elle-même et, finalement, sur les manques et mises à jour de son livre. Ce sont sans doute les pages les plus intéressantes pour les historiens. Pastoureau commente le rôle de la littérature comme document d’histoire, tout en soulignant que « rien n’est inexact » dans ce livre publié en 1976. Il rappelle qu’il aurait pu réfléchir davantage à l’usage des sources : une source littéraire peut-elle être un document d’histoire ? Comment comprendre des documents édités, bien loin de leurs usages oraux et polymorphes au Moyen Âge ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que la légende arthurienne ? De belles pages sur la géographie et les lignages de la légende plongent le lecteur dans cet univers si fascinant, à la redécouverte de Lancelot, Perceval et Gauvain. Pastoureau souligne malgré tout qu’il a négligé les apports de l’archéologie, qui a connu de beaux développements ces dernières décennies et qui a permis de mieux comprendre les sociétés médiévales.

La fin de l’ouvrage est plus amère. Quelques piques, disséminées au fil du propos, venaient déjà émailler la lecture. Le dernier chapitre est le constat d’un historien qui se sent dépassé par de nouvelles pratiques de recherche. Si certaines critiques sont tout à fait fondées – qui ne déplore pas la recherche par projets ? – d’autres cèdent à la nostalgie : les doctorants d’aujourd’hui ne sauraient plus écrire, voire plus penser, obnubilés par leurs ordinateurs, les étudiants n’auraient plus de culture… L'idéalisation du passé ne rend sans doute pas justice au présent ; mais elle est peut-être aussi ce qui a permis à l'historien de livrer les plus belles pages des livres qui ont suivi ce premier opus de 1976.