Le tableau comme prétexte à l'histoire.

L’ouvrage Les lances de Breda, court opus sur le fameux tableau de Vélasquez, inaugure la nouvelle collection lancée par l’éditeur Armand Colin ce printemps. Bartolomé Bennassar, spécialiste reconnu de l’histoire espagnole, s’y livre avec astuce à l’analyse de l’une des œuvres du maître.

Il s’agit pour l’historien de réintégrer l’œuvre dans son contexte de production, de retrouver les cheminements ayant mené à sa réalisation. Pour le tableau de Vélasquez, Bennassar rappelle au lecteur qu’à l’origine il s’agit d’une commande officielle du roi Philippe IV, le "Roi-Planète", qui voulait, par une série de peintures, célébrer la grandeur de son début de règne (1621-1665). Douze tableaux, en référence au douze travaux du demi-dieu grec, devaient venir illuminer le Salon des Royaumes, pièce centrale du nouvellement construit palais du Buen Retiro. 

Au sein de ce complexe monumental, La reddition de Breda de Velasquez (1635) vient commémorer la grande victoire espagnole obtenue face aux insurgés des Pays-Bas (1626). L’artiste peint ici l’invincible général, Ambroise Spinola, recevant les clés de la ville au terme d’un siège épique de neuf mois. Le tableau fige l’instant où Spinola se penche vers Justin de Nassau, chef de la garnison vaincu, pour, croit-on, se saisir du précieux symbole. Pourtant, et c’est très clair : la scène se démarque singulièrement de la traditionnelle imagerie de reddition. Elle est empreinte d’une solennité et d’un respect mutuel alors qu’au terme d’un accord très honorable on aperçoit, à l’arrière plan, l’armée espagnole, les lances au vent, assistant à l’évacuation de la place forte. Au premier plan, Ambroise Spinola semble presque relever de la main le commandant hollandais, préservant celui-ci d’une mise à genoux humiliante. Le chef espagnol, lui aussi tête découverte, est également, chose peu commune, descendu de cheval pour recevoir ses récompenses de vainqueur. Encore un peu et on le verrait réconforter Justin de Nassau.

Comparant le tableau à des œuvres similaires, dont La Reddition de Juliers de Jusepe Leonardo, Bennassar se persuade encore plus du caractère particulier du présent tableau. Il s’agit désormais pour l’historien de distinguer la part véridique et les caractères ajoutés par l’artiste. Évoquant le contexte, Bennassar note d’un coté la large liberté artistique dont jouit Vélasquez et de l’autre l’apogée de la puissance espagnole. Suivant les conclusion de Jonathan Brown   , Bennassar considère que le tableau, en plus de refléter la victoire militaire, se veut une métaphore de la "supériorité morale de l’Espagne et de son monarque" ; l’heure est ainsi venue pour le très catholique royaume de fédérer autrement que par la force. Le tableau montre pour lui "quelque chose de plus que la victoire militaire", se référant aussi à un idéal chevaleresque dans la conduite de la guerre. 

Toutes ces informations sont connues. L’objet n’est donc pas de produire une interprétation nouvelle, mais d’initier un lecteur néophyte à l’œuvre du peintre et à l’histoire. Évoquer aussi un Vélasquez audacieux et incroyablement en avance sur son temps dont Monet et Renoir salueront le génie deux siècles plus tard. On regrettera malgré tout la brièveté d’un livre dont le format n’aide pas à mettre en valeur les nombreuses illustrations.