Une anthologie de textes présente les différentes formes prise par la thématique de la mort dans la littérature et les réflexions religieuses, morales ou politiques qu'elle soulève chez les écrivains.

Phénomène physiologique s’il en est, la mort est aussi un fait anthropologique, social, religieux et philosophique. L’anthologie de textes rassemblés par Yann Coillot présente les différentes manières par lesquelles la littérature l’a racontée, ainsi que les aspects auxquels elle est associée : le deuil, l’agonie, le sacrifice ou encore la mémoire.

La mort est omniprésente dans la littérature, qu’elle soit thématisée pour elle-même ou seulement partie intégrante du récit, au fil duquel apparaissent mais aussi disparaissent certains personnages. Comme l’a suggéré Maurice Blanchot (s’appuyant lui-même sur Rilke et Kafka), l’œuvre littéraire coïncide avec « l’espace de la mort », dans lequel évoluent les circonstances, les causes, les manières. Mais les extraits choisis dans ce volume concernent les cas plus particuliers où l’auteur donne une certaine consistance au vide laissé par la mort d’un personnage et s’efforce de révéler quelque chose de l’expérience de la finitude. On passe ainsi du récit héroïque du sacrifice de Roland à Roncevaux à la parole des vivants parlant au nom des morts d’Auschwitz, en passant par le portrait baudelairien de la charogne, rappelant au lecteur la menace permanente des ténèbres.

Accompagné de quelques illustrations (empruntées à la peinture de Giotto ou de Delacroix), cette anthologie aurait encore pu être complétée par une exploration des littératures non-occidentales et des conceptions culturelles qui s’y expriment — la diversité des rapports à la mort n’étant ici représentée que par l’intermédiaire du récit de Jean de Léry sur ce qu’il appelle « l’anthropophagie ».

Le spectacle de la mort

L’intérêt de la forme anthologie est d’abord de présenter au lecteur la grande variété qu’il existe dans le traitement du sujet de la mort dans les œuvres littéraires. Les quelques 95 références présentées composent une vaste galerie, dont chaque tableau est porteur d'une forte dimension visuelle, mais que l'écriture littéraire vient enrichir d'une puissance évocatrice propre.

Ce sont d’abord les contextes narratifs qui frappent par leur diversité : on trouve la mort, bien sûr, sur le champ de bataille, dans le contexte d’une guerre (Barbusse, Simon) ou d’un massacre (Homère), mais on la trouve aussi derrière une décision de justice (Kafka), à l’occasion d’un suicide (Anna Karénine chez Tolstoï, Javert chez Hugo, Chéri chez Colette), quand ce n’est pas la conséquence d’une pure cruauté (Lautréamont).

C’est aussi la place que l’écrivain accorde à cet événement dans l’économie de l’œuvre qui diffère d’un extrait à l’autre : très souvent, la mort conclut un roman, comme si la disparition du personnage signifiait la disparition du monde auquel son existence donnait sens ; parfois, la mort intervient en cours de route et le déroulement de l’intrigue se poursuit après elle, son cours étant plus ou moins affectée par cet événement ; il arrive également que la mort soit tout juste mentionnée, sans commentaire et sans importance apparente (Kafka).

Les points de vue par lesquels la littérature donne à voir le spectacle de la mort sont également nombreux. Le plus souvent, on prend un personnage à témoin de la mort d’un autre : c’est lui qui décrit ses derniers instants, son agonie, ses râles et l’évanouissement progressive de sa conscience (le prince de Salina chez Lampedusa). Dans d’autres textes, on donne à voir le jugement de celui qui met à mort, lors d’un combat ou lors d’une exécution, et parfois la condamnation qui en découle (Hugo et la critique de la peine de mort). Parfois, enfin, c’est la mort elle-même qui prend la parole, à la manière d’une prosopopée, et qui enjoint les humains qu’elle menace de ravir à se concevoir eux-mêmes en absents du monde.

La mort entre esthétique, morale et politique

La mort est encore l’occasion pour les écrivains d’aborder des sujets plus généraux, et notamment les rapports de l’âme et du corps ou des vivants et des morts.

Les descriptions présentées contribuent à ériger une certaine esthétique de la mort, imprégnée de l’imaginaire et des savoirs de l’époque à laquelle appartient leur auteur, mais aussi délimitée par les règles académiques.

Mais ces textes sont également orientés vers des réflexions morales. On analyse les comportements des humains et des animaux non-humains (Vigny, Huysmans, Simon) devant la mort. À l’époque classique, on façonne les règles de la bonne manière de mourir (Montaigne) ; dans des textes plus contemporains, on s’interroge sur le sens de la mort dans un monde débarrassé du divin et des grands récits philosophiques ou religieux.

Certains extraits permettent enfin de cartographier ce qu’on pourrait identifier comme une politique de la mort, à différentes époques : les manières différenciées par lesquelles elle touche les riches et les pauvres, la ville et la campagne, les personnes de pouvoir ou les misérables.

En somme, le panorama que cette anthologie présente au lecteur puise dans un large choix de romans, de poésies ou de pièces de théâtre, afin de répertorier, sans exhaustivité revendiquée, les mises en scènes littéraires de la mort, afin d’en mesurer la diversité et d'en tirer quelques leçons portant à la fois sur les dispositifs d’écriture et sur les réflexions philosophiques qu'elle suscite.