Un collectif d'artistes et de théoriciens de l'art posent à nouveaux frais la question ancienne de la beauté et en explorent les différents sens contemporains.

La notion de beauté est sans doute l’une des plus éculées de la philosophie de l’art, au point qu’on peut légitimement se demander ce que l’on peut encore écrire de nouveau sur elle. C’est l’objectif des 11 auteurs réunis dans cet ouvrage — qui accompagne l’exposition « Beautés » au FRAC Auvergne — que d’explorer cette question. Peintre, sculpteur, critique d'art, réalisateur, directeur de FRAC, mais aussi ethnologue (Philippe Descola) ou philosophe (Yves Michaud), tous s’appuient sur l'analyse d'œuvres concrètes pour guider leur réflexion.

Leur approche a aussi en commun de faire subir à la notion de beauté un infléchissement important relativement à sa signification classique. Comme le titre l’indique, il ne s’agit d’ailleurs pas de disserter sur la beauté mais plutôt d’évoquer les beautés, dans toute leur pluralité. Ce qui peut passer pour une forme de fausse modestie ou de dérobade face aux pièges de la tradition esthétique se révèle en réalité un levier théorique fécond. C’est en effet à un foisonnement de réflexions que donne lieu cette interrogation et à un tableau bigarré des formes du beau : entre productions contemporaines indifférentes à la beauté et souvenir des canons classiques, l’ensemble confronte des conceptions variées et parfois contradictoires qui enrichissent le regard du lecteur.

Le pluriel invite donc à l'élargissement du spectre d'exploration, et les point d'entrée proposés sont effectivement nombreux : entre beauté visible ou cachée, beauté dicible ou indicible, beauté universelle ou beauté particulière, beauté abolie ou beauté maintenue, les pistes de réflexion laissent une grande latitude aux auteurs. Certains, comme Jean-Charles Vergne, vont même jusqu'à affirmer que la beauté ne serait rien de moins qu'un effet de croyance, que l'assentiment donné au beau suffirait à le faire exister. D'où le fait que la beauté « pourrait être une friction saisissante de sentiments contradictoires »).

Ces multiples contributions convergent toutefois en un point commun : tous les auteurs admettent que la beauté ne réside pas tant dans les objets artistiques eux-mêmes que dans la relation que le spectateur entretient avec l’œuvre. Il convient donc de distinguer la beauté de l’art ou dans l’art et la beauté par l’art (selon l’expression de l’artiste Vincent Dulom). De même, les beautés se singularisent dans la voix de celui qui les formule (« c’est beau ! », comme le met en évidence la peintre Claire Chesnier).

La réflexion sur la beauté s’inscrit également dans le contexte contemporain et tient compte des enjeux qui lui sont propres : les auteurs s’interrogent sur les effets qu’ont sur elle l’esthétisation (Yves Michaud), sa soumission au « Grand Marché » (Michel Thévoz) ou encore sa dissolution dans le commerce et le divertissement.

En somme, le pluriel du titre nous invite à cheminer au-delà des catégories esthétiques traditionnelles et à « pluraliser » la beauté en plusieurs sens : pour l’adapter aux différents types d’art (ici, la peinture, la sculpture, la photographie et cinéma), mais aussi pour l’adapter à différents cadres conceptuels et culturels (comme nous y invite la perspective ethnologique) et pour l’ancrer dans la démarche plus spécifique de l’art contemporain qui, s’il n’a pas fait totalement le deuil de la notion de beauté (comme le proclament certains philosophes), a toutefois renoncé à l’idée de beauté en soi.