La fondation de l'Académie royale de peinture en 1648 a engendré des débats animés concernant les règles des arts d'imitation et a soumis les artistes au critère de vraisemblance.

En 1635, sous le règne de Louis XIII, Richelieu fonde l’Académie française ; une section spécifiquement consacrée à la peinture est créée quelques années plus tard, en 1648. Depuis lors, et jusqu’en 1793 — date à laquelle toutes les académies royales sont abolies par la Révolution —de nombreux discours y ont été prononcés, et publiés à partir de 1667.

Parmi eux, on trouve des discours tenus par Félibien, Le Brun, Coypel et tant d’autres, portant sur des œuvres d’art précises, dont l’académie se chargeait de faire l’examen en vue de les approuver ou au contraire les rejeter. L’étude de ces discours permet finalement de suivre les normes et les critères de jugement par lesquels étaient appréhendées les productions picturales.

C’est de ces discours et des œuvres auxquelles ils se réfèrent dont il s’agit dans l’ouvrage collectif dirigé par Markus A. Castor, Kristen Dickhaut et Sven Thorsten Kilian. L’ensemble est accompagné d’une iconographie en noir et blanc bienvenue pour suivre les discussions avec précision.

Le critère de vraisemblance 

Le critère qui domine les débats sur la peinture mais aussi sur le théâtre et la poésie au XVIIe siècle est celui de vraisemblance. Comme le montrent M. A. Castor et K. Dickhaut dans l’article inaugural de l’ouvrage, la vraisemblance désigne l’ensemble des moyens rhétoriques qui permettent de représenter de manière crédible un événement ou une action. Et les divers articles qui suivent soulèvent les problèmes auxquels cette exigence a confronté les artistes.

Cette notion se conçoit à partir d’un système conceptuel qui oppose le vrai et le vraisemblable — mais aussi le possible et l’impossible, la logique et la rhétorique ou encore le possible et le persuasif — et qui se traduit à travers les tableaux par une réflexion sur le statut épistémologique de la représentation. Ainsi, certaines contributions soulignent à quel point cette exigence du vraisemblable met en jeu la fonction cognitive de l’art — essentielle pour légitimer la noblesse de la peinture.

La « vérité », à l’aune de laquelle il s’agit d’évaluer les qualités de vraisemblance des œuvres, est avant tout celle de la Bible, même si d’autres textes anciens peuvent faire office de référence ou d’étalon de mesure pour la vérité (tels que Tite-Live ou Ovide). Dans cette perspective, l’article de J. Lichtenstein se demande si le peintre a « le droit de tout oser » : quelles libertés peut-il prendre relativement à l’histoire ou à la vérité religieuse ?

Par ailleurs, la notion de vraisemblance est intégrée à un socle théorique sur lequel s’appuie l’académie de peinture pour émettre ses jugements et qui provient à la fois d’auteurs anciens (les règles de l’art d’imitation énoncées par Aristote dans sa Poétique, comme le montrent les articles de J. Küpper et A. Kablitz) et d’auteurs modernes (Boileau et son Art poétique, 1674). À ce titre, la vraisemblance doit régir, dans les compositions picturales comme théâtrales, le déroulement de l’action, de même que la bienséance régit la conduite des personnages. S. Friede montre par exemple comment Pierre Corneille applique ces règles dans ses comédies. Car comme l’énonce la formule latine Ut pictura poesis empruntée à l’Art poétique de Horace et commentée par A-E. Spica, la poésie et la peinture sont considérées en parallèle — ce qui permet à la peinture d’être pleinement intégrée aux arts libéraux. Il n’en reste pas moins que la formule se voit convoquée dans toute une série de démonstrations qui ne sont pas toutes compatibles entre elles — comme le montre le long examen de la Querelle du Cid.

C’est selon ce double principe de conformité (avec la vérité biblique, d’une part, et avec les règles théoriques de l’art d’imitation, d’autre part) que les conférences données à l’académie  royale s’efforcent d’établir et de faire connaître les règles infaillibles du théâtre, de la poésie et de la peinture.

Cela ne va pas sans conflits potentiels et souvent réels avec l’Église, qui ne se contente pas de réprouver certaines représentations de sujets religieux mais qui condamne encore des œuvres portant sur d’autres sujets du point de vue de la morale religieuse. C’est aussi le cas pour la morale collective, comme le montrent C. Henry et L. Pierre-Henry à propos du tableau de François Dandré-Bardon représentant, sans souci de convenance, la violence de Tullia faisant passer son char sur le corps de son père.

Des querelles célèbres 

Les analyses d’œuvres présentées par les académiciens dans leurs conférences ont donné lieu à de vives querelles. Du côté de la peinture, en particulier, on peut relever le cas du tableau de Poussin intitulé Éliézer et Rebecca, qu’examine Philippe de Champaigne lors d’un discours prononcé le 7 janvier 1668. K. Krause montre dans sa contribution que l’académicien reproche au peintre de ne pas avoir traité le sujet de manière fidèle relativement à l’histoire racontée dans la Bible — et donc relativement à la vérité : alors que cette dernière fait état de la présence de chameaux lors de la rencontre des deux personnages, Poussin n’en a peint aucun. À l’inverse, Charles Le Brun — qui est alors directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture —, considère que cette affaire de chameaux n’est pas décisive pour la vraisemblance et que le mérite du tableau se trouve ailleurs.

En août 1670, la discussion porte sur le cas de la nudité dans la représentation du Laocoon. Les académiciens se demandent s’il s’agit de vérité, de vraisemblance, d’anachronisme ou d’invraisemblance. Le Secrétaire perpétuel de l’Académie, Charles Nicolas Cochin, reprend à son compte les arguments utilisés par ses prédécesseurs afin de soutenir que le but de l’art ne se réduit pas à une imitation, c’est-à-dire à produire la simple copie d’un réel supposé. 

Dans les années 1750, une autre discussion anime l’Académie royale, cette fois à propos du Centenier de Joseph-Marie Vien, qui représente un personnage tombant sur les deux genoux (par dévotion ou vénération) devant le Christ. Le peintre rompt manifestement avec un usage répandu dans d’autres tableaux sur le même sujet, qui veut qu’on ne tombe, dans ce cas, que sur un seul genou. F. Ferran analyse dans son article la position défendue à ce sujet par Cochin : bien loin de reprocher à Vien d’avoir rompu avec l’usage, l’académicien le félicite de ne pas s’y être conformé dans la mesure où cette position sur deux genoux remplit parfaitement l’exigence de la vraisemblance. La discussion est d’autant plus vive que depuis le siècle précédent la position d’un seul genou en terre est considérée comme la marque d’une véritable dévotion.

Le rôle du débat

Au-delà de leur compte rendu, les articles réunis dans l’ouvrage présentent des extraits authentiques de ces discussions. Ceux-ci témoignent de manière frappante à quel point l’art d’exposition, qui se déploie au cours de ces années, n’est pas séparable de controverses et de débats serrés autour des œuvres, et donc d’une certaine formation du goût. Que ces discussions aient lieu dans un cénacle n’affaiblit en rien ce lien entre l’œuvre et le spectateur.

Ces débats réguliers et passionnés qui se succèdent sur deux siècles donnent à voir la transformation de la sensibilité et nous font assister à la naissance d’un nouveau public, celui des Salons. Désormais moins sensible aux tableaux d’histoire religieuse et à une approche savante de l’art, ce dernier réclame avant tout des artistes qu’ils ne le trompent pas et que leurs représentations ne soient en aucun point différentes de la réalité. Il semble bien, par ailleurs, que les artistes soient conduits à simplifier leur message pour tenir compte de l’élargissement de ce public.

En somme, la connaissance de ces débats théoriques sur la question de la vraisemblance est indispensable pour quiconque souhaite comprendre les œuvres produites à cette période.