La romancière britannique, prix Fémina étranger pour les deux premiers volumes de son autobiographie, rend hommage aux écrivaines qui l’inspirent.

C’est à son public français que Deborah Levy a réservé la primeur de ce recueil de textes hétéroclites (articles, lettres, préfaces, nouvelles), écrits au cours des vingt-cinq dernières années. Elle y ouvre sa bibliothèque et souligne notamment l’importance de Freud, dont la célèbre Psychopathologie de la vie quotidienne (1901) lui a fourni le titre de deux textes du recueil : « Psychopathologie de la vie quotidienne dans les cafés de Vienne au temps de Freud » et « Psychopathologie de la vie d’écrivain ».

 

Un portrait chinois

Ce n’est pas la chronologie qui guide la composition de ce livre aux allures de portrait chinois, mais le goût pour les détails, comme les creepers dans lesquels, à dix-sept ans, elle enfilait ses pieds nus : « J’ai la certitude depuis toujours que les hommes et les femmes qui portent leurs chaussures sans chaussettes ont tout pour devenir mes amis et mes amants. […] Ne pas mettre de chaussettes, c’est ne pas faire semblant de croire que l’amour dure toujours. » Elle évoque également le citron, qui lui rappelle « la crème de citron », comble de l’exotisme pour elle quand elle est arrivée en Angleterre à 9 ans, après une enfance passée en Afrique du Sud.

Elle a aimé Colette avant même de la lire, quand elle a découvert, à treize ans, une photo d’elle, reproduite dans le livre : « À mes yeux d’adolescente que je noircissais de khôl pour avoir l’air nihiliste et perdue (c’était l’époque punk après tout et on était tous en deuil du futur), Colette avait une beauté souveraine dont elle était la seule propriétaire et qu’elle ne faisait que louer au photographe. » Vingt ans plus tard, elle souscrit à la célèbre affirmation de La Vagabonde : « Je ne voudrais de l’amour, enfin, que l’amour. »

Elle admire Virginia Woolf, Simone de Beauvoir, Sylvia Plath et Marguerite Duras, pour laquelle « tout ce que cherche à faire le langage, c’est placarder une catastrophe au beau milieu de la page. » Elle fait l’éloge de la prose « cinétique, poétique » de Violette Leduc, « souvent désignée comme "la plus grande des écrivaines françaises méconnues" », et à qui elle semble vouloir rendre justice : « Bien qu’ils aient été encensés par Camus et Genet, Simone de Beauvoir et Sartre, les livres de Violette Leduc ne figurent pas aux côtés des leurs dans les rayons des librairies. Peut-être parce qu’on ne lui a jamais appris (à Genet non plus) que la vie ou la littérature était digne de respect. La littérature n’était pour elle ni un salon confortable ni une salle de séminaire à l’université, ni non plus l’endroit qui grandit les défauts humains et dont, par une sorte de catharsis, ils ressortent heureux, entiers, guéris, rincés comme par miracle de toute colère, concupiscence et souffrance. »

 

La curiosité comme boussole

Deborah Levy s’intéresse également à J.G. Ballard, « le plus grand romancier futuriste d’Angleterre », qui « a changé les coordonnées du réel dans tout le roman britannique et entraîné ses lecteurs fidèles dans une folle aventure intellectuelle. » L’article sur la photographe américaine Francesca Woodman est aussi particulièrement stimulant, d’autant qu’il pourrait bien être métatextuel : « Elle est toujours son propre sujet, mais elle incarne d’autres sujets, et l’un d’eux, c’est la représentation elle-même. » Ailleurs, le lecteur croise Lee Miller ou Paula Rego. Il suit l’auteure dans ses baignades : « De toutes les mers dans lesquelles j’ai nagé, y compris l’Atlantique et l’océan Indien, c’est la baie des Anges qui m’a le plus inspirée, à Nice. […] J’ai mesuré ma vie en oursins qui m’ont transpercé les pieds de leurs épines. » Dans un texte plus énigmatique, « Migrations vers l’Ailleurs et autres douleurs », on la voit dialoguer comme Alice avec un lapin.

 

Ces mélanges se présentent comme des exercices d’admiration, d’indocilité et de féminisme où le lecteur retrouve la grande liberté et la fantaisie de « l’autobiographie en mouvement » qui a fait le succès de Deborah Levy.