Lettre d’amour à l’alouette des champs, ce livre est aussi un hommage au vivant et un appel à puiser dans la poésie les clés d’un combat et d’une fraternité au-delà de l’humain.

« Chère Madame et très joyeuse alouette », ainsi commence la lettre de Francis Grembert à l’alouette des champs de son enfance. Le point de départ de cette missive est une absence : l’alouette en question a presque disparu, avec tout ce qu’elle représente de grâce, de liberté et de joie. Dans « la grisaille d’un monde abîmé », Grembert fait le pari du souvenir pour sauver une espèce menacée. À la ferme des parents, dans les terres de Bailleul en Flandre française, l’alouette était pourtant une « évidence » inscrite dans le paysage et destinée à durer. Son envol, comme son chant, suscitait un étonnement sans égal.

Sur les traces de l’alouette

Contre l’amnésie et l’insouciance des hommes, l’auteur s’obstine à chercher des traces de l’alouette chez les poètes et les écrivains de tout bord. Son ambition est de reconstruire une « épopée ordinaire » à partir des écrits et des expériences des autres. Tout y passe : fragments poétiques, comptines, écrits des soldats, œuvres d’art, données ornithologiques, revues scientifiques, reportages. On en vient à rêver, avec l’auteur, d’un retour miraculeux de l’alouette, poussés comme elle par la nostalgie d’un habitat, d’une anecdote ou d’un mode de vie.

L’alouette, nous dit Grembert, a quelque chose de fascinant, d’ambivalent, de presque insaisissable : « Je vous cherche dans les traces écrites du passé. Vous y êtes proche et lointaine à la fois, sauvageonne et princière, têtue et solitaire, trait d’union entre ciel et terre. » Ayant survécu aux aléas naturels, aux guerres ravageuses, aux attaques des pesticides et des pulvérisateurs, à l’accélération du rythme de fauche des herbages, l’alouette interroge désormais la responsabilité des hommes. « Grande praticienne de la ligne droite légèrement ondulée », elle oppose à la violence de l’époque une allégresse discrète, un camouflage envoûtant, une manière à la fois tendre et craintive d’exister.

En suivant les traces de l’alouette, l’auteur s’intéresse à sa répartition actuelle, découvre l’actualité de ses habitats et la diminution de ses effectifs. Il consulte les fiches LPO, prend conscience de son déclin et souligne le danger de sa « ghettoïsation » dans les réserves de la biodiversité. Comment sauver l’espèce sinon dans l’énergie de l’évocation ? L’alouette incarne la « continuité de la nature », elle nous tend ce miroir essentiel « qui reflète notre double aspiration terrestre et céleste ». Avec le paysan, elle forme une « communauté de territoire et d’âme » qu’il serait bon de partager. Au détour des pages, l’auteur imagine un collectif, « Le Retour de l’alouette », comme une manière de dire ce besoin urgent de (re)faire communauté.

Un hommage au vivant

Par-delà l’éloge de l’alouette et la dénonciation de la perte des diversités végétale et animale, il y a dans ce petit livre surprenant une manière de réinscrire le vivant dans le monde des Lettres, un exercice de poétisation acharnée et rafraîchissante de notre environnement. Parfois, il suffit de réintroduire l’alouette de manière subtile dans notre quotidien : « Vos teintes atténuées sont les bienvenues dans le monde fluo de nos écrans obligés. » D’autres fois, il s’agit d’investir la matière du langage en expliquant ce que sont le pied-d’alouette, le pain d’alouette ou le miroir aux alouettes… Cette même alouette qui a donné son nom à un hélicoptère, un satellite, une zone industrielle, une revue spirituelle et une partition musicale : « Tout peut être alouette », conclut Grembert, « car la douceur du mot et ce qu’il évoque sont une valeur ajoutée ».

En ressassant les charmes et les vertus de l’alouette, l’auteur mène une entreprise de réparation salutaire. Écrire « pour dire la volupté du vivant » mais aussi et surtout pour poser un regard fraternel sur le monde, pour célébrer la continuité des territoires, pour inviter le lecteur à investir, chacun à sa manière, « la trame que tissent les règnes animal et végétal », avec « ses reliefs, ses teintes, ses humidités ». Ce n’est point un hasard si le livre se referme sur la nécessité de sortir de l’écrit, de suspendre l’exercice de l’éloge pour imaginer des retrouvailles avec l’alouette « ailleurs que dans une anthologie poétique ou un almanach avec dictons de nos vieilles provinces ».

Poésie, écologie et combat

Avec une sincérité et une passion admirables, l’auteur met son écriture au service de son projet, assumant aussi bien son « lyrisme un peu puéril » que sa colère froide et ses « possibles dérapages ». Le résultat est un texte combatif et émouvant, oscillant entre la lamentation chargée d’amertume, le plaidoyer érudit et le texte militant et engagé, citant d’ailleurs les actions des mouvements écologistes tels que Extinction Rébellion et dénonçant des projets jugés écocides ou aberrants comme Tropicalia (une grande serre tropicale dans le Pas-de-Calais) ou Imagiland (un parc d’attraction près d’Angoulême). Pour autant, Grembert en revient toujours à la poésie, comme pour dire la permanence du verbe face au malaise causé par les changements environnementaux.

Invitation à relire Hugo, Michelet, Supervielle, Char, Jaccottet mais aussi Percy Shelley, Siegfried Sassoon, Jean-Loup Trassard et d’autres, Éloge de l’alouette est surtout un appel à lever les yeux vers le ciel pour repenser nos fraternités et apprendre à reconnaître dans le vivant, comme l’écrit Bachelard, « une autre beauté que la beauté descriptible ». Il y a là la promesse d’un monde à venir, celui de l’émerveillement absolu face à la nature qui perdure : « Viendra le temps où lorsqu’un milan royal traversera le ciel jurassien, nous nous esbaudirons sans retenue ».