« Vénus à son miroir » retrace le second voyage en Italie de Diego Vélasquez, durant lequel il réalise le tableau éponyme.

Vénus à son miroir est un roman graphique intéressant qui retrace le second voyage en Italie de l’espagnol Diego Vélasquez, considéré par Manet comme « le peintre des peintres ». Bien que biographique, il est centré sur un épisode particulier, à savoir la réalisation de l’un de ses derniers chefs-d’œuvre, la fameuse Vénus au miroir (vers 1647-1651). Tableau singulier tant par sa beauté que par sa rareté ; Jean-Luc Cornette et Mattéo nous font découvrir l’histoire de sa création.

La reconnaissance italienne : apothéose vélasquienne

Jean-Luc Cornette est né en 1966 en Belgique, il a tout d’abord travaillé dans l’illustration jeunesse avant de se faire remarquer dans le journal Tintin Reporter. Mattéo est né en Italie en 1967, illustrateur et dessinateur, il est connu pour différentes séries BD comme Mèche Rebelle, devenu proTECTO et Marina. L’Italie étant au cœur de son parcours, rien d’étonnant alors à le voir mettre en cases le plus grand des peintres espagnols, qui entretint une relation particulière avec l’Italie.

La Vénus au miroir aurait été peinte entre juillet 1649 et novembre 1650 (bien que d’autres datent sa réalisation entre 1647 et 1651), lors du second séjour de Vélasquez en Italie. L’une des particularités de cette peinture est qu’elle est le premier chef-d’œuvre espagnol ayant pour sujet principal le corps féminin dans sa nudité, alors que la Maja desnuda de Francisco de Goya en constituerait le second exemple. En effet, l’Église espagnole s’opposait avec vigueur à ce genre si particulier. Les auteurs soulignent ce point précis en mettant les paroles suivantes dans la bouche du pape Innocent X : « Termine mon portrait Diego Rodríguez de Silva. Et après adonne-toi avec jouissance à une peinture que ton pays réprouve, mais qu’ici on célèbre ». En outre, Vélasquez dans sa volonté à se mesurer avec les plus grands maîtres du nu tels Rubens ou Titien ne pouvait résister plus longtemps à la tentation. Pour autant, contrairement à ce que nous pourrions attendre, les deux auteurs ne s’arrêtent pas spécialement sur cet aspect-là, même s’il est mentionné entre deux bulles qu’il « aimerai(t) peindre un corps. Peindre un être humain, sans les soieries et broderies qui le soustraient à notre vue. Comme Botticelli, Tiziano ou Caravaggio l’ont fait et comme Madame Gentileschi le fait encore   ».

Au contraire, la romance vécue par Vélasquez, qui introduit une touche de passion à cette biographie du peintre sévillan, demeure le principal nœud narratif de ce récit. Ainsi, les auteurs humanisent un Vélasquez qui nous apparaît plus fragile, cédant lui aussi à la tentation de l’Amour et du corps nu. Comblant un vide historique, à partir d’une hypothèse plausible   , ils sont libres d’échafauder un scénario qui se lit d’une traite emmenant le lecteur dans les rues enivrantes d’une Rome joyeuse et colorée, aux antipodes de l’Espagne austère du xvie siècle. L’intérêt de cette peinture, au-delà de la rareté des nus espagnols, réside sans conteste dans le fait que cela signifie pour Vélasquez la reconnaissance comme peintre des cercles élevés de la société : hommes de Cour, royauté. En réalisant sa Vénus au miroir, Vélasquez se fait poète puisque sa peinture rivalise avec la poésie et sa toile est à la hauteur de la perfection des dieux et déesses antiques : sa Vénus est la représentation de la beauté idéale du corps nu féminin.

Le modèle en son miroir

Pour autant, d’un point de vue historique, nous pouvons émettre une réserve sur la relation qu’entretient Vélasquez avec le pape Innocent X. La proximité, presque amicale, qui l’unit au Saint-Père semble être une licence romanesque prise par les auteurs ; il semble peu probable qu’au siècle d’Or il fût possible d’entretenir une telle relation avec le pape : « Grâce à la médiation de tous ces personnages [Camilo Massimi, Ferdinando Brandani], Velásquez approche le pape, qui lui commande son portrait   ».

Toutefois, cet écart atteste de la réelle volonté des auteurs ; ils ne souhaitent pas livrer une biographie graphique exhaustive du peintre sévillan, mais celle d’un être de chair et d’os qui sublimera la beauté et les traits du nu, d’une femme, mû par l’ivresse de la passion. Pour le reste, les auteurs demeurent fidèles à la biographie de Vélasquez et respectent les hypothèses fréquemment évoquées dans les ouvrages dédiés au Sévillan, comme la relation qu’entretient le peintre avec son esclave-assistant Juan de Pareja ou l’exposition du portrait de ce dernier dans le portique du Panthéon de Rome.

Le mérite de ce roman graphique est sans doute de donner visage, corps et vie à la muse de Vélasquez qui a rejoint le panthéon de l’histoire de l’art sous le nom de Vénus au miroir. La double-planche 76-77 nous apparaît comme étant le climax de ce processus créatif où le dialogue muet entre artiste et modèle se matérialise sur la toile du maître sous le regard attentif et silencieux du lecteur. De même, l’ingéniosité de la couverture mérite une attention particulière grâce à cette double mise en abîme puisque nous voyons la Vénus au miroir de face, en train de naître sous le pinceau du maître, et se reflétant tel que l’Histoire la connaîtra dans un miroir situé à l’arrière-plan. De plus, cette couverture fait écho de manière prospective au chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de Vélasquez, à savoir Les Ménines (1656) dans laquelle le peintre sévillan utilisera la même technique du miroir pour se représenter en train de peindre le portrait de l’infante Marguerite. Le miroir, élément important des toiles de Vélasquez, devient finalement un protagoniste important de cet ouvrage où le modèle supposé, Flaminia Trivia, s’affranchit de l’irréalité de son reflet pour enfin devenir l’âme de ce tableau et, surtout, incarner l’amante et l’inspiration de Vélasquez.

D’un point de vue graphique, soulignons le travail de très grande qualité réalisé par Mattéo qui redessine ou réinterprète quelques-unes des plus grandes œuvres de l’histoire, avec une mention spéciale pour Les époux Arnolfini de Jan Van Eyck (1434) qui aurait inspiré Vélasquez dans l’utilisation du miroir et du reflet, et qui ouvre ce roman graphique. Bien que nous puissions parfois regretter un manque d’allant dans le récit qui se veut avant tout contemplatif, la Vénus au miroir parvient à nous conduire sur les pas non pas de Vélasquez, mais d'un Vélasquez amoureux, passionné qui a su peindre l’éloge de la féminité.

Un roman graphique qui permettra au lecteur novice de découvrir de grandes œuvres de l’histoire de l’art et un épisode particulier de l’un des plus grands peintres espagnols et internationaux de l’Histoire.