Avec un véritable don de conteur, Michael Gazzaniga éclaire l'énigme de la conscience dont la pleine compréhension constitue un défi majeur pour la communauté neuroscientifique du XXIe siècle.

L’esprit, nous dit Michael S. Gazzaniga, est une ballerine d’une grande fluidité, qui « fait des allers-retours dans le temps » : « Un instant est pour nous le point de départ de la prochaine action que nous prévoyons de faire, elle même à son tour mesurée dans son présent à l’aune de nos expériences passées »   . Ce phénomène est partie intégrante de l’expérience consciente neurotypique qui soulève de nombreuses questions. La conscience, se résume-t-elle aux activités des neurones de notre cerveau modulaire ? Et si tel est le cas, peut-elle fonctionner indépendamment de lui ?

Pour ce professeur de psychologie, la conscience est un instinct, à l’image du langage, de la survie, de la sexualité et de la socialité – autant de manifestations qui permettent à l’être humain de s’adapter à l’environnement. Envisager la conscience tel un instinct complexe densifie d’emblée le problème : comment localiser cet instinct à l’ère de la cartographie du cerveau ? « Quelle est, de fait, la réalité physique d’un instinct ? Est-ce quelque chose de tangible, comme une pomme, ou insaisissable, comme une démocratie ? »   Quels sont « les corrélats neuronaux de la conscience » ?   Comment faire la soudure entre l’esprit et le cerveau et le corps, ou comment résorber – ce que le philosophe Joseph Levine nommait en son temps – le « fossé explicatif » ?   Cela va sans dire qu’il y a encore beaucoup à penser autour de ces problématiques.

En consonance avec les thèses les plus frondeuses, Gazzaniga va au sujet par des voies obliques, en écartant les idées les moins porteuses, comme, par exemple, le fait que notre cerveau serait une machine – métaphore que l’on doit à Robert Rosen   . Il revient donc sur l’histoire en dents de scie des avancées de la science du cerveau, afin d’identifier les fausses pistes et les conceptions erronées qui ont induit la recherche en erreur. Celle qui lui a fait le plus de tort est, sans nul doute, la pensée philosophique mécaniste de René Descartes et sa bipartition corps-esprit, qui « a profondément gommé la réflexion sur la réalité physique de l’esprit pendant plus de deux cents ans »   . La science du XXIe siècle entend désormais comprendre comment l’esprit s’incarne dans notre cerveau jusqu’à produire une conscience qui s’articule autour de trois éléments : perception, volition et action.

Michael Gazzaniga affirme que « la conscience n’est pas une chose. "Conscience" est le mot que nous utilisons pour décrire la manière dont on ressent subjectivement un certain nombre d’instincts et/ou de souvenirs, inscrits dans une temporalité, qui se jouent dans un organisme »   . Il dira plus loin que la conscience « est en réalité un sentiment (feeling) attaché à un événement mental ou instinct du moment, ou qui en forme la toile de fond »   .

Il opte donc pour une conception qui envisage le cerveau comme une architecture modulaire organisée en strates, dont l’un des avantages est de réduire la consommation d’énergie en permettant, en toute autonomie, une multiplicité de processus de traitement concomitant. Ceci est rendu possible grâce à l’hyper-spécialisation des modules interconnectés de ce petit appendice énergivore qui consomme pas moins d’un cinquième de nos besoins énergétiques. L’auteur définit le cerveau comme :

« [...] un organe finement élaboré par la sélection naturelle, organisé en modules localisés qui fonctionnent selon une architecture en couches de telle façon que, la plupart du temps, un module ou un ensemble de modules ignore tout de ce que font les autres. »  

À la suite de Daniel Wolpert, médecin neuroscientifique qui défend l’idée d’un contrôle moteur humain robuste, Gazzaniga avance que :

« Si notre cerveau a évolué en tant que système de contrôle moteur pour le reste du corps, cela veut dire que la pensée, la planification, le souvenir, l’utilisation des sens, et ainsi de suite, ne sont que des outils, des complexités supplémentaires au sein d’une architecture en couches qui a évolué afin de renforcer la robustesse du contrôle moteur dans ses environnements changeants et incertains. Cela vaut également pour l’apprentissage et la cognition. »  

Gagnés par la verve enthousiaste de ce livre documentaire qui rend hommage à l’évolutionnisme, de nombreux lecteurs ne manqueront pas d’être en affinité avec les idées novatrices de Michael Gazzaniga, tant elles sont lumineuses de logique. Cet empêcheur de tourner en rond offre à ses collègues une feuille de route qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles façons de réfléchir au problème de la conscience, en mettant l’accent, cette fois-ci, sur la complémentarité, à savoir « le concept selon lequel toute matière peut exister simultanément sous deux états différents »   , comme l’avait fait Albert Einstein pour percer le mystère de la lumière   , plutôt que de percevoir la réalité de manière monolithique.