Si la longueur du rapport du GIEC rend son assimilation complexe, les enjeux qui y sont évoqués sont désormais cruciaux. Un livre en propose une explication synthétique.

Si la longueur du rapport du GIEC demeure un frein à sa lecture, ses conclusions n’en sont pas moins incontestables. La hausse des émissions de gaz à effet de serre, due aux activités humaines, est responsable de l’élévation du niveau des océans, de la multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes ou encore d’incendies. Au-delà du constat, le GIEC propose toute une série de mesures nécessaires et de scénarios en fonction de nos futures émissions. Dans son dernier ouvrage, le journaliste scientifique Sylvestre Huet propose une explication solide et accessible de ce rapport.

Le thème de terminale consacré à l’environnement propose de réfléchir aux changements climatiques depuis le Moyen-Âge. La connaissance des activités et des rapports du GIEC est nécessaire pour bien saisir la question depuis le XIXe siècle, et les différentes thématiques qu'ils soulèvent peuvent faire l’objet d’un sujet de Grand oral.

Nonfiction.fr : Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 et son premier rapport a été publié en 1990. Comment est né ce groupe, qui le compose et quelles sont ses missions ? Vous parlez notamment d’un « mariage inédit entre science et politique »   .

Sylvestre Huet : La proposition de créer le GIEC vient de la réunion du G7 à Toronto (Canada) du 19 au 21 juin 1988. Elle est inscrite dans le texte final adopté par ce « sommet des pays riches » – États-Unis d’Amérique, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Canada, Italie – représentés par Ronald Reagan, Noboru Takeshita, Helmut Kohl, François Mitterrand, Margaret Thatcher, Brian Mulroney et Ciriaco de Mita. L’Assemblée générale de l’ONU a créé le GIEC en novembre de la même année.

Quelles étaient les motivations de ces chefs d’État et de gouvernement ? De Ronald Reagan, le héraut de la révolution conservatrice et du « moins d’État ». De Margaret Thatcher qui, des années plus tard, expliquait s’être fait berner par son conseiller scientifique John T. Houghton. De François Mitterrand, dont la fibre écologiste n’a jamais été évidente. Ils se sont retrouvés sur une idée : devant la mise en cause possible de la base énergétique de leur puissance, en particulier celle du pétrole pour les États-Unis d’Amérique, il était exclu que la conférence de Rio, prévue pour 1992, travaille à une Convention Climat sur la seule base des analyses du Programme des Nations unies pour l’environnement, soupçonné d’être sous la coupe d’écologistes peu favorables à l’industrie. Certains pouvaient y ajouter des intérêts immédiats, comme Margaret Thatcher, engagée dans une lutte à mort contre le syndicat des mineurs de charbon. Condamner le charbon plus émetteur de CO2 que le gaz de la mer du Nord au kWh produit, au nom des intérêts supérieurs de l’humanité, ne pouvait que lui plaire.

Ces dirigeants ont donc plaidé pour une organisation hybride. Politique par son origine : il s’agit de répondre à une demande d’expertise exprimée par les gouvernements. Politique par son principe de fonctionnement : la nomination du bureau du GIEC, des coprésidents de ses groupes de travail, et l’adoption phrase par phrase du « Résumé pour décideurs » de ses rapports, doivent suivre le mode onusien, par le vote d’une assemblée plénière où chaque pays dispose d’une voix. Mais scientifique par son mode de travail, puisque le bureau est chargé de recruter des spécialistes de chaque sujet traité pour établir une synthèse critique des productions scientifiques sur le changement climatique. Ainsi, pensent ces dirigeants politiques un peu naïvement, pourront-ils contrôler cette expertise dont le contenu pourrait bien être explosif pour le modèle de société qu’ils préfèrent et pour leurs puissances respectives.

Le sixième rapport, qui vient de paraître, découle du travail de trois groupes, travaillant respectivement sur la physique du climat, les risques du changement climatique pour les sociétés et les écosystèmes, et les possibilités de s’y adapter voire d’atténuer cette menace. Cela concerne des milliers de scientifiques, d’experts et de contributeurs. Comme construire un consensus malgré un tel foisonnement ?

Il ne faut pas se tromper sur le contenu du consensus des experts du GIEC. Ce qui leur est demandé, c’est une expertise sur l’état de la science publiée. Donc, si cette science est dans un état de désaccord, le consensus du GIEC consiste à exposer cet état de désaccord. Ce qui leur est demandé, c’est d’être d’accord sur… l’éventuel désaccord entre études scientifiques publiées. C’est pourquoi l’un des aspects les plus importants de leur travail consiste à évaluer la robustesse des études publiées, notamment de leurs méthodes et résultats. Par exemple, les rédacteurs du Groupe 1 peuvent constater que les différents modèles climatiques donnent des résultats différents, en termes de températures ou de précipitations, pour une même intensification de l’effet de serre. Ils vont donc évaluer l’ensemble de ces résultats et identifier les raisons des différences. Pour les températures, ces raisons sont très liées aux paramétrages des nuages dans les modèles, différents selon les équipes.

Le rapport de 1990 était prudent sur la seule cause anthropique du réchauffement climatique, mais depuis la relation de causalité a été affirmée avec davantage de confiance. En 2021, le rapport qualifie l’élévation des températures par nos émissions de gaz à effet de serre de « fait établi ». Dans ces conditions, pourquoi ces rapports tardent-ils à donner lieu à une politique ambitieuse ?

Attention : en 1990, ce qui n’est pas « prouvable », c’est que nos émissions de gaz à effet de serre auraient déjà provoqué une augmentation de la température moyenne planétaire. Mais cela n’était dû qu’au fait suivant : cette augmentation était encore du même ordre de grandeur que les fluctuations naturelles les plus fortes. Très rigoureux, les climatologues disaient donc : « Il est possible que nos émissions aient déjà un effet mesurable, mais on ne peut pas encore le prouver. » En revanche, le rapport de 1990 était tout à fait affirmatif sur la prévision d’un changement climatique futur. Depuis, les températures se sont envolées, leur mesure est plus précise, et il est possible depuis au moins le rapport de 2001 d’affirmer que ces températures ont un lien prouvé avec l’intensification de l’effet de serre que nos émissions provoquent.

Le lien entre un rapport du GIEC et les politiques conduites n’est pas mécanique. Les rapports du GIEC ne prescrivent aucune politique, car le mandat du GIEC le limite à la présentation des informations « pertinentes pour la décision ». C’est plutôt du côté des politiques nationales, locales et supranationales, donc notamment du côté de la Convention Climat de l’ONU et des Conférences des Parties, qui réunissent tous les États de la planète, qu’il faut se tourner pour répondre à votre question.

Le réchauffement climatique n’est pas homogène et c’est l’hémisphère nord qui se réchauffe le plus vite. Comment s’explique cette différence ?

C’est assez simple : les terres émergées se réchauffent plus vite que les océans pour des raisons physiques bien connues liées à l’inertie thermique de l’eau. Or, il y a beaucoup plus de terres émergées dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud, de sorte que cela influence fortement la température de chaque hémisphère.

Le rapport propose cinq scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, du moins émissif au plus émissif. Le Groupe 1 n’en préconise aucun, conformément à son mandat. Pouvez-vous expliquer la façon dont ces scénarios ont été élaborés ?

Auparavant, les équipes de scientifiques réalisant des simulations numériques du climat travaillaient avec des calendriers d’émissions un peu arbitraires, classés du moins au plus émissif. Pour le sixième rapport, cinq grands scénarios ont été établis.

Le SSP1, dit « Développement durable » : forte coopération internationale, priorité au développement durable, amélioration des conditions de vie, préférences des consommateurs pour des biens et services respectueux de l’environnement, peu intensifs en ressources et en énergie.

Le SSP2, dit « Poursuite des tendances » : les tendances sociales, économiques et technologiques actuelles se poursuivent, le développement et la croissance progressent de manière inégale selon les pays et les régions, les institutions nationales et internationales œuvrent à la réalisation des objectifs d’un développement durable qui progresse lentement, l’environnement se dégrade malgré un développement moins intensif en ressources et en énergie.

Le SSP3, qualifié de « Rivalités régionales » : résurgence des nationalismes, développement économique lent, persistance des inégalités et des conflits régionaux. Les pays sont guidés par des préoccupations en matière de sécurité et de compétitivité, ils se concentrent sur les problèmes nationaux voire régionaux et sur les enjeux de sécurité alimentaire et énergétique. La priorité internationale accordée à la protection de l’environnement est faible, et se dégrade fortement dans certaines régions.

Le SSP4 baptisé « Inégalités » : développement marqué par de fortes inégalités entre et à l’intérieur des pays, dégradation de la cohésion sociale et multiplication des conflits, fossé croissant entre une élite connectée et mondialisée, responsable de la majorité des émissions de gaz à effet de serre, et un ensemble fragmenté de populations à faible revenu, peu éduqué et vulnérable au changement climatique. Le secteur énergétique se diversifie entre sources d’énergie fortement carbonées et décarbonées. Les politiques environnementales se concentrent sur les enjeux locaux.

Enfin, le SSP5 dit « Développement conventionnel » : développement adossé à l’exploitation forte des énergies fossiles et marqué par des investissements élevés dans la santé, l’éducation et les nouvelles technologies, adoption de mode de vie intensifs en ressources et en énergie à travers le monde. La croissance économique et le progrès technologique sont élevés, les problèmes de pollution locale sont bien gérés et l’adaptation est facilitée notamment grâce au recul de la pauvreté.

Si certains changements peuvent encore être atténués, d’autres sont irréversibles, notamment pour les océans, les calottes polaires et le niveau marin. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

Le degré d’irréversibilité des phénomènes provoqués par le changement climatique peut se révéler très différent. Si ce changement provoque la disparition d’une espèce végétale ou animale, ce processus ne peut pas être renversé. La montée des océans, ou la fonte des calottes polaires sont des processus à très longue durée « typique », de sorte qu’ils se poursuivront longtemps après que nous ayons cessé d’intensifier l’effet de serre par nos émissions. C’est pourquoi le rapport mentionne des travaux sur l’évolution du niveau marin à trois siècles, évolution dont le niveau final est encore mal défini, mais qui ne pourra pas s’arrêter à l’horizon 2100, même si nous arrivions, ce qui est très improbable, à une neutralité carbone en 2050. Nous sommes en train de changer le visage de la Terre, sa géographie physique, pour très longtemps. Les spécialistes des modélisations numériques des climats sur longue durée sont ainsi en capacité d’affirmer que le scénario le plus émissif est capable de reculer la prochaine entrée en glaciation de plusieurs milliers d’années.

Quelles sont les sociétés les plus vulnérables face à ces changements et celles qui en subiront le plus rapidement les conséquences ?

Le risque climatique est directement lié à la capacité à le prévoir et à en prévenir les conséquences pour s’y adapter et limiter leurs effets négatifs sur l’économie, la santé, la production agricole, la ressource en eau, etc. Ces capacités sont déterminées par le niveau de richesse et le niveau technologique des sociétés mais encore plus à leur état « socio-politique ». Leur État fonctionne-t-il bien ? Avec compétence, sans corruption ? Il est capable de tenir compte du long terme et non seulement des impératifs immédiats, de bien servir l’intérêt général et celui des générations futures ? C’est la réponse à ces questions difficiles qui détermine la capacité à faire face au changement climatique, tant pour en atténuer le niveau, par la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, que pour s’adapter à sa part inéluctable.

Pour cela, il faut être riche, disposer de technologies efficaces et bas carbone, et bien organisé socialement et politiquement pour que les efforts demandés à tous soient justement répartis, ce qui est une condition sine qua non à leur acceptation. Tous ces points sont clairement établis par les groupes 2 et 3 du GIEC. Un simple regard sur le monde actuel indique que l’Afrique toute entière, une bonne partie des pays d’Amérique latine et du Sud-Est asiatique, ainsi que le Moyen-Orient sont dans une situation de forte vulnérabilité.

Ce regard rapide met en évidence le risque géopolitique majeur du changement climatique : les pays et populations les moins responsables de ce bouleversement en raison d’émissions historiquement moins élevées que celles des pays anciennement industrialisés en seront les principales victimes. Cette injustice fondamentale peut se révéler une bombe géopolitique si ces populations ne font pas l’expérience que les pays anciennement industrialisés sont prêts à payer leur « dette climatique » par des aides conséquentes pour faire face aux dégâts du changement climatique et aller vers un développement socio-économique bas carbone.

Le Groupe 3 étudie les moyens d’atténuer le changement climatique. Dans tous les cas, ce résultat passe par une diminution des gaz à effet de serre. Cela implique notamment de repenser l’organisation urbaine, les transports, l’occupation des sols ou encore l’alimentation, et de mettre en oeuvre ces changements rapidement. Comment le GIEC encourage-il à « renforcer la réponse », pour reprendre l’un des titres du rapport ?

Le Groupe 3 du GIEC expose un très grand nombre de politiques efficaces pour diminuer l’impact climatique des différents secteurs étudiés (logement, transport, industrie, électricité, agriculture, etc). Certaines relèvent essentiellement de choix technologiques, comme la nécessité de décarboner la production d’électricité et l’industrie, en remplacement des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz. Mais ce qui est nouveau dans le sixième rapport, c’est l’insistance avec laquelle sont traités les liens entre sobriété, inégalités sociales et publicité. Le consensus du GIEC nous dit que le maintien des très fortes inégalités de revenus et patrimoines actuelles n’est pas compatible avec des politiques climatiques efficaces car la sobriété nécessaire, en particulier pour les classes moyennes des pays riches, suppose qu’elles soient persuadées que l’effort demandé est justement réparti.

Toutefois, il est possible que le rapport du GIEC, par construction, ne contienne pas les changements socio-politiques et culturels nécessaires à la réussite des politiques climatiques. Permettez-moi de me citer sur ce point : « Le problème est ailleurs : si les politiques économiques et sociales permettant d’éviter un changement climatique dangereux se situent en dehors des modèles dominants, elles ne peuvent pas s’y trouver comme résultat d’un consensus d’experts ».